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ROUSSEAU JEAN-JACQUES (1712-1778)

Les grandes œuvres

Dans chacun de ses ouvrages, Rousseau va proposer un remède à la corruption des sociétés. Il imagine trois voies susceptibles de mener à une nouvelle synthèse de la nature et de la culture qui ne trahirait pas l'essence de l'homme.

Dans l'Émile, Rousseau repense l'éducation d'un enfant destiné à devenir citoyen ; dans La Nouvelle Héloïse, il imagine la vie idéale d'une microsociété ; dans le Contrat social, il pose les fondements d'un État juste et légitime, où chacun écoute la voix de sa conscience.

L'« Émile » : de l'enfant au citoyen

Rousseau se montre original et même révolutionnaire dès les premières pages de l'Émile. Récit didactique, l'Émile repose sur l'intuition fondamentale, peut-être héritée de Condillac, mais pour la première fois appliquée et fondée en droit, de la perfectibilité humaine. À sa naissance, l'homme n'est rien, il devient tout. C'est cette genèse de la raison considérée au niveau de l'individu que Rousseau envisage dans l'Émile après l'avoir étudiée au plan de l'humanité dans le deuxième Discours. Car qu'est-ce que l'histoire de la corruption de l'humanité sinon l'histoire même de l'homme ? L'histoire de ses facultés ? L'ontogenèse reflète donc la phylogenèse ; avec, néanmoins, cette différence : tout enfant a devant lui la possibilité de son devenir, alors que l'humanité s'est embarquée dans une histoire mal commencée et qu'elle ne peut, hélas, rétrograder. Différence capitale, on le voit. Ainsi, pour Rousseau, l'enfant n'est d'abord que sensations, puis « raison sensitive », de là il devient « raison intellectuelle », et enfin conscience morale. Croissance du corps et croissance de la raison vont de pair. Comment aider l'enfant à ne pas gaspiller la chance de développer ses facultés conformément à la nature, chance que l'humanité a laissé échapper ? Comment pousser l'enfant à se cultiver, c'est-à-dire à passer d'un état d'innocence à un état de culture, sans pour autant que cette culture soit artificielle et contre-nature ? Comment, en un mot, actualiser sans les dénaturer les virtualités – raison, sociabilité, conscience morale et civique – de l'enfant ? Tel est le propos de Rousseau dans l'Émile.

Il forge une méthode éducative fondée sur l'idée de la prédominance de l'influence du milieu naturel sur celle des hommes. Autrement dit, il prône une éducation dépourvue de médiations. L'enfant découvrira tout par lui-même et en lui-même. C'est dire que le pédagogue sera moins un précepteur qu'un observateur. Il aura pour tâche non d'instruire l'enfant, mais de le diriger selon la voix de sa nature propre. Il ne donnera pas de préceptes, mais les fera découvrir par l'enfant lui-même. Deux tâches incombent donc au pédagogue : laisser faire la nature, d'une part, et préserver le cœur de l'enfant du vice et son esprit des préjugés, d'autre part. Telle est la fameuse éducation négative ou inactive élaborée par l'écrivain.

Toutefois, cette pédagogie « naturelle » n'est pas sans entraîner des difficultés, dont la principale est, paradoxalement, son artificialité. Certes, l'éducateur laissera faire la nature ; il faut pourtant que l'enfant soit confronté avec certains obstacles pour que sa nature s'accomplisse. Dès lors, bien qu'apparemment absent, le pédagogue sera partout présent. Il suscitera les rencontres de l'enfant avec la nature, favorisera les chocs affectifs ou intellectuels. Voilée mais extrêmement agissante, la main du maître sera derrière toute chose. C'est dans un monde « truqué », mené au gré des ruses de son pédagogue, que l'enfant évoluera et s'accomplira. Est-ce donc par l'artifice que Rousseau[...]

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Écrit par

  • : professeur à l'université de Genève, Doyen honoraire de la faculté des lettres

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Jean-Jacques Rousseau - crédits : Hulton Archive/ Getty Images

Jean-Jacques Rousseau

Émile, J.-J. Rousseau - crédits : AKG-images

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