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JEAN L'EXARQUE

La vie de cet écrivain du premier royaume bulgare reste pratiquement inconnue. On ignore son nom laïque et l'on discute encore sur le sens précis à donner au mot « exarque », qui accompagne régulièrement son nom religieux de Jean. Ce n'est qu'approximativement qu'on le situe dans le temps, sur la foi d'indications assez vagues recueillies dans son œuvre, par exemple lorsqu'il déclare qu'il a été incité à écrire par le moine Dox, oncle du tsar Siméon de Bulgarie qui régna de 893 à 927. Ses ouvrages fondamentaux sont Nebesa, « Les Cieux », et Chestodnev, « L'Œuvre des six jours » (de la Création). Le premier est la traduction en vieux bulgare de quarante-huit chapitres du Traité de la vraie foi de saint Jean Damascène, théologien du viiie siècle. Le second, dont le titre est le calque bulgare du grec Hexaêmeros, est fondé surtout sur l'Hexaméron de saint Basile, apologiste chrétien du ive siècle, mais l'auteur se réclame aussi d'autres autorités, notamment de celle d'Aristote. On doit également à Jean l'Exarque quelques sermons, dont les plus connus et les plus sûrement authentiques ont trait à des fêtes religieuses.

Jean l'Exarque est l'un des représentants les plus éminents de l'école de Preslav, ville de la Bulgarie orientale, dont ce monarque lettré qu'était Siméon avait fait sa capitale et le principal centre culturel de son État. C'est un écrivain savant, connaissant de près la Bible et la littérature patristique de langue grecque, ayant des vues sur la philosophie de la Grèce antique et portant un intérêt particulier aux sciences profanes conçues dans l'esprit religieux de son époque. Pendant tout le Moyen Âge, son œuvre, surtout son Chestodnev, fut une sorte d'encyclopédie chrétienne des sciences de la nature, non seulement pour les Bulgares, mais pour d'autres Slaves orthodoxes comme les Serbes et les Russes. Aujourd'hui le linguiste y puise nombre de renseignements précieux à la fois sur le vocabulaire abstrait du vieux bulgare, que Jean l'Exarque a d'ailleurs le mérite d'avoir lui-même en partie forgé, et sur le vocabulaire concret de cette langue dans des domaines comme ceux de la physiologie, de la zoologie, de la botanique, qu'il explore afin d'exalter les merveilles de la Création et de fortifier la foi religieuse de ses compatriotes, récemment convertis au christianisme. Les idées personnelles qu'il expose sur l'art de la traduction dans le prologue à Nebesa apparaissent de nos jours comme beaucoup plus sensées et nuancées que ne l'étaient celles de certains de ses contemporains, servilement attachés à la lettre du texte à traduire. Telle autre partie personnelle de son œuvre, comme sa description du somptueux palais de Siméon à Preslav, atteste en lui un réel talent littéraire, souvent absent chez les écrivains d'alors. Mais la véritable portée de l'œuvre de Jean l'Exarque est que, dépassant de très haut, par les sujets qu'elle aborde, le médiocre intérêt des querelles théologiques du Moyen Âge, elle fut pour le monde slave un pont jeté entre la pensée des philosophes païens de l'Antiquité, comme Platon et Aristote, et la pensée chrétienne, sous la forme que Byzance lui avait donnée et dont la Bulgarie venait d'hériter en recevant d'elle en 865 le baptême chrétien. Qu'une œuvre d'un caractère aussi encyclopédique que celle de Jean l'Exarque ait vu le jour quelques décennies seulement après cette date, qui coïncide à peu près exactement avec celle de l'apparition du premier alphabet des Slaves, ne peut que souligner les mérites exceptionnels de son auteur.

— Roger BERNARD

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Écrit par

  • : ancien élève de l'École normale supérieure, professeur honoraire à l'Institut national des langues et civilisations orientales, docteur ès lettres

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    ...par le souverain. Les écrivains les plus caractéristiques de cette tendance sont le prêtre puis évêque Constantin, dit aussi Constantin de Preslav, et Jean l'Exarque, qui contribuèrent puissamment par leurs traductions à enrichir et à assouplir le vieux bulgare en rendant cette langue, encore un peu fruste,...