LAUDE JEAN (1922-1983)
Professeur d'histoire de l'art à Paris-I, où son enseignement eut un rayonnement considérable, Jean Laude était surtout connu pour ses importants travaux sur la peinture moderne et sur les arts africains. Mais parallèlement à cette œuvre scientifique, il n'avait cessé de poursuivre une recherche poétique dont la rigueur intransigeante l'a tenu à l'écart des modes successives, mais dont l'actualité et la réussite apparaissent mieux aujourd'hui. La carrière scientifique de Jean Laude l'a mené de l'ethnologie à l'histoire de l'art, de l'africanisme et de ses traditions à l'esthétique mouvante du monde contemporain. Pourtant, loin de s'estomper, son expérience initiale devait irriguer jusqu'à son terme sa recherche dans une discipline tentée de manière endémique par l'européanocentrisme.
En 1966, Jean Laude fait paraître Les Arts de l'Afrique noire (nouv. éd., Le Chêne, 1979), qui reste le manuel de référence sur la question, ouvrage à la fois documentaire, historique et méthodologique. Analysant la notion de primitivisme, Laude critiquait la vision occidentale des productions artistiques africaines, faisant justice de leur interprétation comme « expressionnisme », ce qui le conduisit à l'idée d'une relativité des signes : leur langage « n'est pas universel ; à l'intérieur d'une même ethnie, d'un même groupe, il ne s'adresse pas à tous de la même façon ». Ce souci de l'altérité ne s'est jamais démenti depuis. Altérité culturelle, bien entendu : il faut ici évoquer son remarquable ouvrage sur Zhao Wuji (La Connaissance, Bruxelles, 1974). Mais aussi regard attentif et généreux porté sur l'Autre, comme en témoigne le dévouement inépuisable dont il a toujours fait preuve envers ses amis et ses étudiants.
Sa thèse, La Peinture française (1905-1914) et l'« art nègre » (Klincksieck, 1968), marquait un passage décisif à l'histoire contemporaine. Jean Laude y montre comment, dès la fin du xixe siècle, les arts exotiques ont permis à leurs homologues occidentaux de se dégager de la tradition. Les préoccupations d'ordre théorique et sémantique se précisent ; la notion d'influence, par exemple, se voit examinée dans la perspective multiple des histoires : celles des faits, de la société et de l'art ; on refusera désormais de la réduire à un simple constat d'analogie. Cette recherche se concrétise encore dans deux publications : « Picasso et Braque, 1910-1914, la transformation des signes » (Le Cubisme, C.I.E.R.E.C., univ. de Saint-Étienne, 1973) et l'introduction au Catalogue de l'œuvre de Braque (vol. VII, Maeght, 1982), intitulée « La Stratégie des signes ». Du fait de son double travail de poète et d'historien de l'art, Jean Laude s'est penché sur la contiguïté des deux systèmes de l'image et de l'écriture. Dans cette voie, il devait tout naturellement rencontrer Paul Klee, peintre et poète. Il lui consacre une première étude d'envergure, « Paul Klee : lettres, écritures, signes » (Écritures, signes idéographiques et pratiques expressives, Le Sycomore, 1982). Au moment de sa mort, il terminait un important essai sur le Primitivisme dans la pensée picturale de Paul Klee (paru sous une forme abrégée dans le catalogue de l'exposition du musée d'Art moderne de New York, Primitivism and Modern Art), véritable synthèse de ses préoccupations constantes.
Jean Laude était homme de rigueur mais aussi de nuance, ennemi de tous les dogmatismes et des jargons à la mode. À propos du rapport de l'art et du social, « dont on ne saurait nier sérieusement l'existence », il ajoutait, par exemple, que « la société ne détermine pas totalement la création ». Créateur lui-même et donc « un peu plus proche du cœur de la création[...]
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Écrit par
- Michel COLLOT : professeur de littérature française à l'université de Paris-III-Sorbonne nouvelle
- Claude FRONTISI : professeur émérite des Universités, président du centre de recherche Pierre-Francastel
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