CHRÉTIEN JEAN-LOUIS (1952-2019)
Philosophe et poète, Jean-Louis Chrétien est né à Paris le 24 juillet 1952. Reçu premier à l’École normale supérieure de la rue d’Ulm (1972) ainsi qu’à l’agrégation de philosophie (1974), il enseigne un temps en province. Revenu à Paris, il est pensionnaire de la fondation Thiers de 1977 à 1980 avant d’obtenir un poste à l’université de Créteil. Il est ensuite nommé à la Sorbonne professeur de la chaire d’histoire de la philosophie de l’Antiquité tardive et du haut Moyen Âge, qu’il occupe jusqu’en 2018. Il meurt à Paris le 28 juin 2019.
Jean-Louis Chrétien, dont la pensée se forma auprès d’Henri Maldiney et de Vladimir Jankélévitch, occupe une place singulière dans le paysage philosophique français contemporain. Tout à la fois phénoménologue, théologien, poète, professeur, érudit, il ne saurait toutefois être réduit à l'une de ces qualifications. « À chaque question son mode d'écriture », dit-il dans un entretien accordé à la revue Nunc, en 2005. Si parole et corps sont les deux « thèmes » qu'il n'a de cesse d'explorer dans tous les sens, à travers une œuvre dense et cependant abondante, paroles philosophique, théologique ou poétique sont pour lui des modalités irréductibles, proches et séparées, d'une même écoute, de Lueur du secret (1985), son premier livre, à Fragilité (2017). Sa conversion au catholicisme, entre ses vingt-cinq et ses vingt-huit ans, joua un rôle central dans l’élaboration d’une pensée intensément en attente de l’autre (L’Appel et la réponse, 1992).
Si les œuvres de ceux qui auront pensé et écrit avant nous nous touchent, c'est parce qu'en elles s'entend l'adresse d'une voix, l'incarnation d'un souffle. « Toute voix humaine répond, toute inauguration est en souffrance et en passion sous une voix antérieure qu'elle n'entend qu'en lui répondant, qui la précède et qui l'excède » (La Voix nue, 1990). Ce qui précède et excède ne saurait être simplement saisi par l'entremise d'une « présence » transparente et vide. Le secret habite au cœur du verbe qui nous fait parlant, pensant, sentant et souffrant. Le caché et le révélé sont les deux faces d'une même énigme nous provoquant à être en quête incessante de réponses à jamais provisoires. La voix, tout comme la vision ont été réduites par la tradition « métaphysique » à une présence pleine que Derrida aura su, à la suite de Heidegger, déconstruire dans ses moindres détails. Mais cela ne veut pas dire pour autant qu'elles soient réductibles aux analyses critiques légitimes que l'on aura pu en faire. « Couverte par ce qui la fait se donner », la voix garde son secret à être adressée, tenue, promise. Promesses furtives – titre d'un ouvrage paru en 2004 – analyse le « tacite » qui habite toute parole avant même toute intention explicite de promesse. « La première hospitalité n'est autre que l'écoute. C'est elle que corps et âme nous pouvons donner jusque dans la rue et sur le bord des routes, quand nous n'aurions à proposer ni toit, ni feu, ni couvert. Et c'est à tout instant qu'elle peut aussi être donnée » (L'Arche de la parole, 1998). L'acte de répondre ne peut être réduit à celui de fournir l'attendu des réponses espérées, il fait fond vers un avant qui engage le sujet parlant dès que celui-ci est mis en demeure, par la parole elle-même, de répondre.
La méditation que conduit Jean-Louis Chrétien sur la parole et la conscience l’a tout naturellement amené à s’intéresser à la manière dont celles-ci se nouent dans le roman : à travers le monologue intérieur, par exemple chez Balzac, Stendhal ; Woolf ou Faulkner (Conscience et roman, 1. La Conscience au grand jour, 2009), mais aussi à travers des formes plus secrètes,[...]
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Écrit par
- Francis WYBRANDS : professeur de philosophie
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