GODARD JEAN-LUC (1930-2022)
Jean-Luc Godard est certainement le cinéaste qu'on associe le plus volontiers à l'art contemporain. Son travail avec la vidéo a renforcé cette tendance. À la fin de 1992, le musée d'Art moderne de New York a organisé une exposition sur son œuvre. Ce cinéaste admiré, adulé même, a la réputation d'être obscur et alambiqué. Ses propos paradoxaux, ses interventions à la télévision, souvent provocatrices, ont donné de lui une image qui occulte l'œuvre. Celle-ci, considérable, rassemble des textes nombreux et une centaine de films de nature aussi différente que possible : des longs et des courts-métrages, des « ciné-tracts », des émissions de télévision, des publicités (pour des couturiers suisses, les Girbaud), un clip (pour France Gall), des vidéos, des films de commande (pour France Télécom, Darty...), des essais, un autoportrait, etc. Cette œuvre comporte des moments de grande beauté et des réussites multipliées qui justifient qu'on place Godard au rang des quelques cinéastes de sa génération qui comptent en France – et dans l'histoire de l'art du cinéma.
Les génériques élaborés, disloqués, le travail sur les signes de la vie moderne, le discontinu et le fragmentaire, le goût pour les jeux verbaux, les citations et les incrustations de tous ordres sont autant de constantes qui permettent de mettre en avant une identité d'auteur. Mais le discontinu et le fragmentaire, ainsi que les notions fondamentales (rapport, montage, image...) qui gouvernent l'œuvre, changent de sens selon l'époque.
Le feu d'artifice des années 1960
Jean-Luc Godard est né à Paris le 3 décembre 1930 dans une famille de la bourgeoisie protestante, pour moitié suisse. Il reçoit une éducation littéraire et musicale classique, et conduit sa scolarité à Nyon (Suisse), puis au lycée Buffon, à Paris. Après l'adolescence, il rompt avec sa famille et s'installe à Paris. Là, après avoir collaboré à la Gazette du cinéma et à Arts, il prend contact avec Jacques Doniol-Valcroze, l'un des fondateurs de la revue Cahiers du cinéma nouvellement créée. Comme il l'a dit plus tard, écrire pour lui c'était déjà faire des films. Pendant cette période, où il multiplie les articles critiques pour les Cahiers du cinéma, il affûte ses idées au contact de celles des autres et fréquente la Cinémathèque, rue de Messine.
Le premier contact de Godard avec la pratique du cinéma s'effectue via le documentaire. Alors qu'il travaille sur le chantier de construction du barrage de la Grande-Dixence en Suisse, il réalise en 1954 Opération béton en 35 mm. Ce court-métrage sera suivi de quatre autres.
Il présente au producteur Georges de Beauregard un projet intitulé À bout de souffle, d'après une histoire originale de François Truffaut. Le projet est accepté, et le feu d'artifice des années 1960 peut débuter ; il durera jusqu'en 1966. Déjà, une méthode se définit : « Tout pouvait s'intégrer au film », a dit Godard. « On recueille pendant des années des tas de choses, et on les met tout à coup dans ce qu'on fait. » Et encore : « Je me disais : il y a déjà eu Bresson, il vient d'y avoir Hiroshima, un certain cinéma vient de se clore, il est peut-être fini, alors mettons le point final, montrons que tout est permis. »
Cette première période débute et s'achève avec deux œuvres entrecroisées : À bout de souffle (1960) et Le Petit Soldat (ibid.), d'une part, Made in USA (1966) et Deux ou trois choses que je sais d'elle (ibid.), d'autre part. À bout de souffle et Made in USA relèvent de ce que Godard appelle un récit du type « Alice au pays des merveilles » ou « Petit chaperon rouge », qui recourt au film noir et à ses stéréotypes. Dans les deux cas, d'ailleurs, une référence explicite est faite à Humphrey Bogart. Mais le parcours[...]
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Écrit par
- Jean-Louis LEUTRAT : professeur à l'université de Paris-III-Sorbonne nouvelle
- Suzanne LIANDRAT-GUIGUES : professeur des Universités
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Médias
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