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GODARD JEAN-LUC (1930-2022)

Une « résurrection » de l'image

Dans For Ever Mozart (1995) et surtout dans Éloge de l'amour (2001) se met en place une dramaturgie de plus en plus elliptique et ténue. Vitalis (le nom d'un personnage de Sans famille), le réalisateur dans For ever Mozart, travaille dans la rumeur assourdissante du bruit de fond, lors de la scène de tournage au bord de l'océan ; à la fin, il s'assoit, accablé, sur une marche de l'escalier de la salle de concert où la musique de Mozart est interprétée. Puisqu'il n'est pas pensable de refaire Mozart et qu'il est impossible de se situer dans le bruit de fond, ce vers quoi tend Godard sera fondé précisément sur la séparation et la solitude.

Au fil d'entretiens où il tend à devenir son propre exégète, Godard s'exprime beaucoup et fait un usage singulier des mots. Par exemple, il oppose « cinéma » et « film ». Il y a cinéma quand s'opère une coïncidence entre l'œuvre et la nation. C'est ainsi que Naissance d'une nation, Octobre, Le Cuirassé Potemkine, Rome ville ouverte sont des films et du cinéma. Dans une telle optique, les Anglais ont fait des films, mais n'ont pas de cinéma. Le projet de Godard est de réaliser Histoire(s) du cinéma contre une « Histoire des films ».

La logique godardienne est de dévaluer le discours, domaine du sens, au profit du « voir » – étant entendu que dévaluer le discours n'est pas dévaluer la langue que le cinéaste sait mettre en valeur au fil de ses montages textuels. Le sens doit venir après et non avant. Le cinéma peut montrer vraiment ce qui s'est passé, à condition de se faire « vision ». À ce titre, il est une forme de connaissance ou un « moyen d'investigation » comparable à la plaque du microscope qu'il faut « voir d'abord » avant de trouver les mots qui en formaliseront le contenu ou la nouveauté. Si bien que lorsque Godard dit qu'il faut « voir » d'abord, il faut comprendre : voir avec les yeux de l'esprit.

<em>Le Livre d’image</em>, J.-L.Godard - crédits : Casa Azul Films/ Ecran Noir productions/ BBQ_DFY/ Aurimages

Le Livre d’image, J.-L.Godard

Godard avance plusieurs termes – volontiers empruntés à la théologie – pour cerner son idée du pouvoir de l'image : projet et projection, révélation, résurrection... Dans les années 1960, il dit du film : « Tout y est images, y compris les sons, les phrases. Dans un film, c'est la perception qui est l'activité de pensée. » Depuis les années 1980, il se réfère souvent à la définition de l'image selon Reverdy, dont il a fait son art poétique. Cette image met en relation des réalités « lointaines et justes ». L'image mentale et l'image objective, l'image audible et l'image visible participent de ces réels disparates appelés à devenir système au sein de « l'image », un terme ne pouvant précéder l'autre, puisqu'ils n'existent que dans l'aller-retour ou dans le rapport. Hérité de la conception eisensteinienne, le montage est destiné à produire quelque chose que l'on n'avait pas vu et qui passe également par une relation avec les mots de la langue. Les dernières œuvres de Godard creuseront obstinément ce sillon, jusqu’au sidérant Livre d’image (2018). Au spectateur de (re)construire les opérations intellectuelles donnant sens aux rapprochements que Godard opère.

Jean-Luc Godard meurt le 13 septembre 2022 à Rolle (Suisse).

— Jean-Louis LEUTRAT

— Suzanne LIANDRAT-GUIGUES

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Jean-Luc Godard - crédits : Courtesy of The Museum of Modern Art Film Stills Archive, New York City

Jean-Luc Godard

Jean-Luc Godard - crédits : Eric Robert/ Sygma/ Getty Image

Jean-Luc Godard

<em>À</em><em> bout de souffle</em>, J.-L. Godard - crédits : Jacques Boissay/ AKG-images

À bout de souffle, J.-L. Godard

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