LAGARCE JEAN-LUC (1957-1995)
Un théâtre de la parole
On doit une vingtaine de pièces à cet admirateur de Racine, Lewis Caroll, Virginia Woolf, Cioran, Botho Strauss, Peter Handke et Hervé Guibert. Celles-ci ont en commun une légère gravité. Jean-Luc Lagarce préfère la mélancolie au désespoir. Comme Tchekhov, il ne se départit jamais d'une subtile ironie et d'une grande tendresse pour ses personnages. Ces derniers parlent une langue élaborée, faite d'hésitations et de redites, qui se décline au passé ou au futur antérieur. Car le langage est entré dans « l'ère du soupçon » (Nathalie Sarraute), et la communication est plus que jamais menacée. L'auteur privilégie ainsi un théâtre de la parole, plutôt que de situation ou d'action. D'ailleurs, l'action promise au départ est sciemment contournée, évitée. L'œuvre théâtrale s'organise autour de quelques thématiques majeures : l'univers des comédiens (Hollywood, 1983, Music-hall, 1989, Nous, les héros, 1994), la vie de province (Derniers Remords avant l'oubli, 1988, Les Prétendants, 1989), le trio amoureux (Histoire d'amour [repérages], 1983, De Saxe, roman, 1985, Histoire d'amour [derniers chapitres], 1991), le retour (Retour à la citadelle, 1984), la solitude au milieu des autres, la mort et la mémoire. Fasciné par les photos d'anonymes – qu'il collectionne – et le travail plastique de Christian Boltanski, Lagarce s'interroge très tôt dans son œuvre sur la maladie (Vagues Souvenirs de l'année de la peste, 1982), la disparition, les traces (Les Orphelins, 1984, La Photographie, 1986). En 1986, il découvre sa séropositivité. Si l'auteur évoque avec pudeur le sida dans ses récits autofictionnels (L'Apprentissage, 1994, Le Bain et Le Voyage à la Haye, 1997) et son Journal vidéo (1994), il refuse d'en faire le sujet de son théâtre. Lorsqu'il parle de ses écrits, Lagarce distingue « deux pentes ». Tout d'abord, « la pente de l'écriture à base de collages ou de références directes à des textes préexistants : Nous, les héros est lié au travail que j'avais fait sur Kafka, Vagues Souvenirs de l'année de la peste est parti de Defoe. Et puis l'autre pente, où je pars de... moi... ou de ce que j'observe... où donc, je laisse parler des choses plus personnelles... ».
En 1990, une bourse du Centre national des Lettres lui permet d'écrire, au cours d'une résidence à Berlin, Juste la fin du monde. Cette pièce très intime, essentielle dans l'œuvre de Jean-Luc Lagarce, emprunte des éléments à sa propre expérience et à Par les Villages (1983) de Peter Handke. Un jeune écrivain rejoint sa province natale, quittée il y a bien longtemps, pour annoncer sa mort à venir à sa famille ouvrière. Mais l'heure est plutôt aux retrouvailles et aux reproches, et le jeune homme s'en va sans avoir rien dit. Juste la fin du monde est refusée par tous les comités de lecture. Blessé, Lagarce ne revient à l'écriture que deux ans plus tard avec Histoire d'amour (derniers chapitres) (1992), Nous, les héros (1993), Les Règles du savoir-vivre dans la société moderne (1994), J'étais dans ma maison et j'attendais que la pluie vienne (1994) et Le Pays lointain (1995). Cette ultime pièce, achevée quelques semaines avant la disparition de l'auteur, reprend la structure de Juste la fin du monde. Homme de théâtre complet, Jean-Luc Lagarce fonde en 1992 avec François Berreur les éditions théâtrales Les Solitaires intempestifs, à Besançon. Il meurt en 1995, à Paris.
Depuis lors, des metteurs en scène tels que Stanislas Nordey et Olivier Py en 1997, Joël Jouanneau en 1997, 2000 et 2004, Jean-Pierre Vincent en 2002 et 2004, François Rancillac et Julie Brochen en 2007, Michel Raskine en 2008 ont fait connaître cette œuvre inclassable, aujourd'hui traduite en[...]
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Écrit par
- Gaëlle GLIN : journaliste
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