REISER JEAN-MARC (1941-1983)
Après une vaine tentative pour se faire accepter dans l'équipe des dessinateurs d'Ici Paris, Jean-Marc Reiser entre comme coursier chez Nicolas. Cet emploi lui vaut de voir certains de ses dessins publiés dans Le Courrier du nectar sous le nom de Jiem. Ce fait n'est extraordinaire qu'en apparence, car la maison Nicolas est connue pour avoir fait appel depuis longtemps à des gens de talent, dont certains ont marqué l'histoire du graphisme : Paul Iribe, Cassandre, Charles Loupot...
Introduit par le dessinateur Fred auprès de Cavanna, il s'intègre en 1960 à l'équipe de Hara-Kiri, « journal bête et méchant », qui est déjà très pourvue en talents virulents : Cabu, Gébé, Wolinski... Ses premiers dessins rappellent la manière de Bosc : visages identiques au long nez, dupliqués à l'infini, situations absurdes. Dans l'ensemble, l'humour est encore de type anglo-saxon. Il parvient à publier sans trop de difficultés des dessins dans Planète et dans des magazines comme Noir et blanc, Week-End, Le Journal du dimanche.
À partir de 1968, il va créer un genre bien à part lié à un esprit qui ne l'est pas moins. Son trait devient heurté, irrégulier, très adapté à une intention délibérée de déranger le lecteur. Ce qui rend Reiser inacceptable, à un moment ou à un autre, à toute personne même la plus avertie, c'est qu'il s'attaque, entre autres choses, aux conceptions « hygiénistes » de la société, conceptions qui font quasiment l'unanimité. Reiser met en scène des personnages qui sont sales, obsédés sexuels, scatologiques, non pour la seule satisfaction de scandaliser, mais pour réveiller en nous cette zone où demeure encore le refus d'entrer dans le monde des adultes. C'est de cet endroit qu'il « canarde » tous les acquis, qu'il fait aussi la démonstration de leur fragilité. Son trait est le symptôme direct de ce refus : il « fait des saletés », lutte contre l'obligation même de s'exprimer. En fait, s'il rejette ce monde adulte, c'est parce qu'il voit sous les apparences de la propreté, du bon goût, du contrôle un lent acheminement vers la dégradation et la mort. Il s'agit donc bien d'un exercice graphique désespéré.
Le journal Hara-Kiri est interdit en 1966. Reiser rejoint alors Pilote dirigé par le scénariste d'Astérix, de Lucky Luke et d'Iznogoud, René Goscinny, et où son ami Cabu remporte un succès populaire avec la série Le Grand Duduche. Mais il lui faut bientôt choisir entre ces deux équipes, et il décide de revenir à celle de Hara-Kiri qui a repris sa parution. Épris d'écologie, il collabore également à La Gueule ouverte (1972) en tenant une rubrique sur l'énergie solaire.
Par la suite, il donnera chaque semaine, jusqu'à sa mort, une planche au Nouvel Observateur (qui prépublia un de ses récits les plus caractéristiques, Gros Dégueulasse) et collaborera régulièrement à Hara-Kiri et à Charlie Hebdo. Il fut même engagé par Le Monde pour tenir pendant l'été de 1978 une « chronique de vacances ». Ce fut La Famille Oboulot, série ravageuse qui scandalisa plus d'un lecteur, et que le journal dut suspendre brutalement.
Quelle que soit l'opinion que chacun peut avoir sur la vision de Reiser, il est une qualité qui ne peut lui être contestée : son sens de la narration. En quelques images, il sait exposer et résoudre une histoire avec le maximum d'efficacité. Pour peu qu'il ne se laisse pas rebuter par la première image, le « lecteur » qui s'engage dans l'une de ses histoires ne peut qu'être emporté, même à son corps défendant, par la théâtralité des situations, le caractère percutant des répliques et la pertinence de la « chute ».
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Écrit par
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