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LE CLÉZIO JEAN-MARIE GUSTAVE (1940- )

La quête et le secret

Car le détour par l'écriture sacrée des civilisations archaïques a révélé à l'écriture même des puissances cachées : celles de l' initiation. Dès lors, le roman de Le Clézio retrouvera les ressources narratives traditionnelles de ce qu'il faut bien appeler une «  quête initiatique ». Tantôt il s'agit de découvrir la lagune (ou la langue ?) où se cachent les baleines, et c'est dans Pawana. Tantôt, de reprendre la recherche d'un trésor déjà localisé par le père, et c'est toute la geste du Chercheur d'or. Quête chaque fois décevante : l'objet se dérobe sans fin ; ou s'il se donne, comme le spectacle réel des baleines, c'est pour s'enfouir aussitôt dans une histoire sanglante. Bref, au fil des pages, le chercheur découvre que le trésor gît dans l'univers même, dans sa beauté, dans sa puissance de destruction (celle de l'ouragan final du Chercheur d'or, par exemple) et dans sa permanence.

Pour mener à bien une telle entreprise, l'imaginaire romanesque dispose d'une figure privilégiée : celle de l'initiée-initiatrice. De fait, c'est presque toujours à la femme, et plus précisément à la jeune fille, que revient le don du passage, l'art des Voyages de l'autre côté. Déjà Naja Naja, l'héroïne énigmatique de ce roman, détenait son secret : un pouvoir d'absence issu de la contemplation des choses. Mais l'attrait pour le mystère et la magie de l'adolescente se fait plus précis dans Désert, Printemps et autres saisons, Étoile errante, dans les nouvelles de « La Ronde et autres faits divers », enfin dans Le Chercheur d'or. Là, c'est vraiment Ouma, la jeune manaï descendante des anciens esclaves noirs, qui enseigne au héros le mépris de l'or et la connaissance de la beauté. Ainsi toujours, à la frénésie possessive (et guerrière) de l'Occidental, Lalla, Ouma, Zobéïde, Zinna et tant d'autres opposent, au sein du plus grand dénuement, leur noblesse et leur liberté souveraines. En elles se déploie la mémoire de lointains fabuleux, l'Orient ou l'Afrique (vers laquelle il revient dans L'Africain, un beau texte autobiographique), qui font de leurs paroles, et plus encore de leurs silences, de leurs simples gestes, bref de leur être entier, un témoignage abrupt sur notre monde.

Il était naturel que, dans cette quête d'un secret originel, le roman lui-même rencontrât des formes ancestrales. Certains diront que l'œuvre de Le Clézio s'éloigne, avec le temps, de ses audaces et de ses inventions initiales. Et, de fait, ses formes les plus brèves (les nouvelles) ne conservent plus guère que l'originalité d'une thématique certes nettement reconnaissable, mais incapable de répondre à ce qui apparaît bien comme l'ambition la plus profonde de l'entreprise le clézienne : la réparation du monde. C'est au contraire aux amples constructions narratives que paraissent vouées de nature et cette ambition et l'écriture qui la nourrit. Une écriture dont l'idéal est d'abord d'évidence. Le style, souvent presque parlé, affecte la transparence. À travers lui, on sent le monde comme une grosse chose proche, dont la présence impose une émotion où l'on reconnaîtrait volontiers les traits d'une conscience primitive ou enfantine.

Une telle attitude face au langage définit moins la position du romancier que celle, archaïque, du conteur. Cette position d'où il importe de renouer d'anciennes histoires à une autre, toute neuve, qui s'invente sous nos yeux parce qu'elle est tout simplement celle d'une vie orientée par les histoires. Pour Geoffroy, l'un des trois personnages centraux d'Onitsha, le présent n'a de sens que par les liens qu'il tisse avec la très vieille histoire de la[...]

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Écrit par

  • : agrégé de lettres, docteur ès lettres, ancien élève de l'École normale supérieure, maître de conférences à l'université Stendhal, Grenoble

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Jean-Marie Gustave Le Clézio - crédits : Ulf ANDERSEN/ Gamma-Rapho/ Getty Images

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