STRAUB JEAN-MARIE (1933-2022)
Le nom de Jean-Marie Straub, né le 8 janvier 1933 à Metz, doit être associé à celui de Danièle Huillet (1936-2006), qui fut coauteure de tous ses films, et qu'il épousa en 1959. Son enfance se déroule sous le signe des cultures française et allemande. Après la Libération et un passage chez les jésuites, il entreprend des études de lettres et aspire à la carrière d'écrivain. Straub est d'abord marqué par le cinéma de Grémillon et de Carné. Mais, en 1950, Les Dames du bois de Boulogne, de Robert Bresson, va déterminer son évolution. À Paris, en 1954, il se lie avec Jacques Rivette (il collabore à son premier court-métrage, Le Coup du berger) et le groupe de la nouvelle vague, en particulier François Truffaut. Assistant de Gance, Renoir, Astruc et Bresson, il refuse, en 1958, de combattre en Algérie et se réfugie en Allemagne, ce qui fait de lui un cinéaste allemand ou français (une fois amnistié), puis italien, puisqu'il s'installe à Rome en 1969.
Il se fait connaître, dans la vague du « jeune cinéma allemand » des années 1960, par deux adaptations de Heinrich Böll, un court-métrage, Machorka Muff (1963), et un long-métrage, Nichtversöhnt (Non réconciliés ou Seule la violence aide là où la violence règne, 1965), qui inscrivent d'emblée son œuvre sous le signe de l'opposition au pouvoir dans ce qu'il a de plus dévastateur (le nazisme). Le réalisateur se signale déjà par un style d'une intransigeance rare, d'où est exclue toute concession à la séduction spectaculaire, où règnent la concentration et l'ellipse. Mais c'est avec le « Bach-Film » que Straub est enfin reconnu, et déchaîne haines et passions. En effet, Chronique d'Anna-Magdalena Bach (1967) met définitivement en place le système straubien : confrontation d'un texte (entre autres, les « Chroniques » d'Anna-Magdalena) et d'une matière (la musique de Bach). Gustav Leonhardt (1928-2012) interprète le rôle du musicien. De manière totalement novatrice, les pièces musicales sont filmées en une prise (sans coupe) et en son direct, avec des instruments d’époque. La musique constitue ici l’ossature du film
Après un court-métrage brechtien, Le Fiancé, la comédienne et le maquereau (1968), « né sous le coup de l'impossible révolution parisienne de Mai » et auquel participent Fassbinder et son « antithéâtre », il tourne, à Rome, le plus controversé de ses films, Othon, en 1969 (ou « Les yeux ne veulent pas en tout temps se fermer », ou « Peut-être qu'un jour Rome se permettra de choisir à son tour »), d'après une pièce tardive, peu connue et des plus politiques, de Corneille.
Dès lors, le couple Straub-Huillet va représenter la « marge » indispensable : un cinéma minoritaire qui sert de référence morale et esthétique (avec la part nécessaire de « terrorisme » qui en fait aussi, pour certains, un repoussoir). Il est constitué d'œuvres exigeantes, politiques et quelque peu puritaines : Leçons d'histoire, d'après Brecht (1972, RFA) ; Introduction à la « musique d'accompagnement pour une scène de film » d'Arnold Schönberg (1972, RFA) ; Moïse et Aaron (1974), d'après l'opéra de Schönberg ; Fortini/Cani, d'après Les Chiens du Sinaï de Franco Fortini (1976) ; Toute révolution est un coup de dés (1977), d'après Mallarmé ; De la nuée à la Résistance (1978), d'après Pavese (Straub et Huillet reviendront par la suite à cet écrivain pour Ces Rencontres avec eux, 2006) ; Trop tôt, trop tard (1981) ; Amerika, rapports de classe (1984), d'après Kafka ; La Mort d'Empédocle (1987), et Noir Péché (1989), d'après Hölderlin .
Outre cette démarche esthétiquement et économiquement radicale, le propos de Straub et Huillet est une constante réflexion sur les différentes formes d'oppression,[...]
La suite de cet article est accessible aux abonnés
- Des contenus variés, complets et fiables
- Accessible sur tous les écrans
- Pas de publicité
Déjà abonné ? Se connecter
Écrit par
- Joël MAGNY
: critique et historien de cinéma, chargé de cours à l'université de Paris-VIII, directeur de collection aux
Cahiers du cinéma - Encyclopædia Universalis : services rédactionnels de l'Encyclopædia Universalis
Classification
Autres références
-
ALLEMAND CINÉMA
- Écrit par Pierre GRAS et Daniel SAUVAGET
- 10 274 mots
- 6 médias
...de l'Allemagne moderne – notamment Louis II (Ludwig. Requiem füreinenjungfraulichen König, 1972) et Hitler (Hitler. Ein Film ausDeutschland, 1977). Le Français Jean-Marie Straub, émigré en Allemagne en 1958, construit une œuvre très personnelle, alliant, à partir de Chronique d'Anna-Magdalena... -
HUILLET DANIÈLE (1936-2006)
- Écrit par Encyclopædia Universalis
- 243 mots
Cinéaste. Son nom est indissociable de celui de son époux, Jean-Marie Straub, avec qui elle cosigne tous ses films. À Munich, où Straub a fui la réquisition pour l'Algérie, le couple réalise d'après Heinrich Böll Machorka-Muff (1962) puis un premier long-métrage, Non Réconciliés...
-
LEONHARDT GUSTAV (1928-2012)
- Écrit par Juliette GARRIGUES
- 1 818 mots
En 1967, les réalisateurs Danièle Huillet et Jean-Marie Straub le sollicitent pour incarner Jean-Sébastien Bach dans le film biographique Chronique d'Anna-Magdalena Bach (1968). Il retrouve à cette occasion Nikolaus Harnoncourt, qui incarne le prince Leopold d'Anhalt-Köthen, ainsi que Bob van... -
PARLANT (CINÉMA) - (repères chronologiques)
- Écrit par Michel CHION
- 3 201 mots
1899 États-Unis. The Astor Tramp, « picture song » de Thomas Edison. Bande filmée destinée à être accompagnée d'une chanson chantée en salle (derrière l'écran) par des artistes invités.
1900 France. Présentation par Clément Maurice du Phono-Cinéma-Théâtre à l’'Exposition universelle....