MONNET JEAN (1888-1979)
La construction européenne
C'est pourquoi Monnet se tourna vers un autre partenaire : la jeune république fédérale d'Allemagne avec laquelle la France devait se rapprocher, condition indispensable pour pouvoir construire une Europe solide. Robert Schuman, ministre français des Affaires étrangères, le souhaitait, de même que le chancelier Adenauer. Mais par où commencer l'édification d'une Europe à base franco-allemande ? Jean Monnet proposa la mise en commun du charbon et de l'acier sous une haute autorité indépendante à laquelle les gouvernements délégueraient une part de leurs pouvoirs. Le plan Schuman du 9 mai 1950 représentait un changement décisif dans la politique française à l'égard de l'Allemagne et dans la méthode de construction européenne. Monnet conduisit les négociations qui aboutirent le 18 avril 1951 à la signature du traité créant la CECA, la Communauté européenne du charbon et de l'acier. Le cadre de l'Europe des Six était constitué et Monnet devint le premier président de la haute autorité.
Il pensait que l'intégration par secteurs économiques allait pouvoir ensuite se développer graduellement, préparant les bases d'une fédération politique. Mais la décision américaine de réarmer l'Allemagne allait perturber ses projets et le conduire à envisager de façon sans doute prématurée une intégration militaire et politique. Il suggéra le plan Pleven d'armée européenne, qui aboutit au traité du 27 mai 1952 instituant la Communauté européenne de défense. Mais celle-ci fut rejetée par l'Assemblée nationale française et l'Allemagne retrouva une armée nationale dans le cadre de l'OTAN.
Jean Monnet ne se laissa pas décourager par l'échec. Il comprit qu'il fallait « relancer » l'Europe en reprenant l'intégration économique. Il quitta la présidence de la haute autorité et revint à la vie privée pour garder sa liberté d'action. Il continuait à exercer une grande influence sur certains gouvernements, mais comprit que, pour éviter des échecs comme celui de la CED, il devait associer à son effort les forces politiques et syndicales. D'où la création, en octobre 1955, du comité d'action pour les États-Unis d'Europe groupant les responsables des partis et des syndicats (communistes et gaullistes exceptés) qu'il allait animer pendant vingt ans et utiliser comme un efficace instrument de pression en faveur de l'Europe. Comme objectif, Monnet proposait une communauté européenne pour l'utilisation pacifique de l'énergie nucléaire. Il était moins intéressé par l'idée de marché commun général, avancée par les Allemands et les Hollandais, qui lui semblait d'inspiration trop libérale. Mais il comprit que nos partenaires n'accepteraient l'Euratom que s'ils obtenaient le Marché commun. Il contribua ainsi à nouer la négociation qui allait conduire à la signature des traités de Rome du 25 mars 1957.
Les trois Communautés européennes étaient désormais en place et Jean Monnet allait en suivre attentivement la mise en œuvre et s'en faire le défenseur. Le retour au pouvoir du général de Gaulle ne lui rendait pas la tâche facile. L'Europe des États voulue par le président de la République française n'était pas celle que souhaitait l'apôtre de la mise en commun. Cependant, avec réalisme, Jean Monnet ne sous-estimait pas l'impulsion politique que de Gaulle pouvait donner a la construction européenne et il rechercha la conciliation des points de vue. Mais leurs positions étaient trop différentes. Monnet souhaitait des relations étroites entre les « États-Unis d'Europe » et les États-Unis d'Amérique et avait inspiré le « grand dessein » du président Kennedy, alors que de Gaulle voulait une « Europe européenne ». Monnet souhaitait le développement des institutions communautaires, alors[...]
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