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JEAN MOULIN, LA RÉPUBLIQUE DES CATACOMBES (D. Cordier)

Jean Moulin aurait eu cent ans en 1999 et, comme il se doit pour celui qui est devenu le héros de la Résistance par excellence et un enjeu de mémoire national, cet anniversaire a fourni le prétexte à plusieurs publications.

Heureusement, à une nouvelle version d'un Jean Moulin au service d'une puissance étrangère (Jacques Baynac) et à un roman historico-sentimental (Pierre Péan), a succédé un vrai travail d'histoire : Jean Moulin, la République des catacombes (Gallimard, Paris, 1999), de Daniel Cordier, est un jalon inattendu dans l'œuvre que celui-ci consacre à l'homme dont il fut le secrétaire durant la clandestinité, de juillet 1942 à juin 1943.

Au lieu des trois derniers tomes de la somme entreprise il y a dix ans (Jean Moulin, l'inconnu du Panthéon), il livre mille pages où il développe l'argumentation proposée en 1989 dans la longue Préface qui ouvrait la biographie de son héros, rassemble ce qu'il a publié de façon dispersée et répond aux détracteurs de Moulin, jusqu'aux plus récents, en démontant ce qui relève de la manipulation de documents.

« Il n'y a pas de scoop en histoire », même en histoire de la Résistance. Face aux accusations qui faisaient de Moulin l'homme des communistes, Daniel Cordier a commencé, dans ses premiers travaux, par ne vouloir retenir que les documents – nombreux – qui ne pouvaient prêter à discussion, alimentant un débat méthodologique passionnant sur l'utilisation des sources en histoire contemporaine. Mais ici, il concède aux témoignages – car il en est d'irremplaçables – une certaine valeur et rejoint ainsi la position assez commune des historiens. Étayé par une documentation souvent inédite, jamais pesant, cet ouvrage rigoureux qui fait le point sur « la Résistance des chefs », sur les débats intenses, sur fond de tragédie permanente, qui opposent les bâtisseurs de la France clandestine. La maîtrise acquise dans le traitement de l'information, la compréhension intime des faits et de leur contexte et la sincérité passionnée qui parcourt l'ouvrage en font le texte de référence sur les relations « au sommet » entre la France libre et ses représentants en métropole.

Daniel Cordier retrace l'itinéraire en résistance de Jean Moulin, sa montée en responsabilité, sa part décisive dans la construction des structures clandestines, renforçant les mouvements, intégrant les partis, donnant une légitimité supplémentaire à Londres. Il suit son action jusqu'à son dernier rapport du 4 juin 1943, sorte de bilan d'une œuvre alors violemment contestée par les chefs des mouvements de zone sud qui se sentent dépossédés parce que le Conseil national de la Résistance et l'Armée secrète leur échappent. C'est dans ce contexte mouvant et dramatique que s'affirme le délégué de Londres, converti à un gaullisme de raison et de circonstance, un gaullisme « républicain », contre Vichy et contre Giraud, fort éloigné du gaullisme partisan de Brossolette.

La reconstitution minutieuse de l'arrestation de Jean Moulin à Caluire, le 21 juin 1943, n'apporte pas de révélations, mais tout est ici passé au crible de la critique, sans rien celer des responsabilités et du fonctionnement parfois « anarchique » de la Résistance au sommet. La description minutieuse de la mécanique et du contexte des procès qui, par deux fois, après la Libération, blanchissent René Hardy rappelle opportunément que, contrairement à une idée reçue, ce n'est décidément pas dans les prétoires que se dit la vérité en histoire.

Le plus neuf de cet ouvrage, le plus poignant sans doute, se trouve dans l'évocation des événements qui suivent la disparition de Moulin, les rivalités fratricides, les commandements mal définis ou mal assurés, l'affaiblissement de ses successeurs pris entre le marteau des organisations[...]

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