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ARON JEAN-PAUL (1925-1988)

Né avec une vocation « littéraire » dans une famille de médecins et de biologistes, Jean-Paul Aron ne réagit pas à la manière de Flaubert – que pourtant il admirait beaucoup.

Au contraire, après avoir réussi à l'agrégation de philosophie en 1953, il songe immédiatement à une thèse sur la naissance de la biologie en France, à l'orée du xixe siècle. Pour s'y préparer, il reprend des études de sciences naturelles et obtient, en 1957, sa licence ès sciences. S'il ne mène pas à bien la thèse projetée, il ne se désintéresse pas de la biologie et publie une édition de la Philosophie zoologique de Lamarck (1968) et des Essais d'épistémologie biologique (1969).

Ses premières recherches d'historien de la biologie ont éveillé chez Jean-Paul Aron un intérêt pour le xixe siècle et pour la contradiction qui le mine : héroïsme des conquêtes bourgeoises, dérisoire comédie d'une introuvable dignité que la bourgeoisie souhaiterait à la mesure de ses triomphes et de son pouvoir. Le xixe siècle est sans doute le fil conducteur qui permet de rétablir l'unité d'une œuvre diverse et de comprendre la conversion de Jean-Paul Aron, philosophe et épistémologue, à la pratique de l'histoire sociale et culturelle.

Du C.N.R.S., où il avait été détaché en 1955 sur la recommandation de Gaston Bachelard, il passe en 1960 à l'École des hautes études en sciences sociales. Il sera élu directeur d'études dans cet établissement en 1977.

Après un Essai sur la sensibilité alimentaire à Paris au XIXe siècle (1967) et, en collaboration avec Emmanuel Le Roy Ladurie, une Anthropologie du conscrit français (1972), Jean-Paul Aron publie, en 1973, Le Mangeur du XIXe siècle, le premier ouvrage où il trouve vraiment sa manière et son originalité. Sur des sujets voisins, à quelques années d'intervalle, le contraste des titres entre l'Essai sur la sensibilité alimentaire et Le Mangeur révèle cette originalité : ne plus séparer le travail scientifique et le libre jeu d'une verve d'écrivain, présenter la culture bourgeoise aussi bien dans ses mythes et dans ses fantasmes que dans la réalité de sa domination économique.

Conjointement, Jean-Paul Aron écrit deux romans, La Retenue (1962) et Point mort (1964), et commence une œuvre dramatique qui lui permet de cultiver pour elles-mêmes l'ivresse mythique et la puissance de dérision qui donnent tant de relief à ses études historiques. Un volume de Théâtre contenant deux pièces, Le Bureau et Fleurets mouchetés, paraît en 1970. Une autre pièce, Les Voisines, représentée à Paris au Petit-Odéon, est publiée dans L'Avant-Scène en 1980. Jean-Paul Aron accomplit à l'étranger plusieurs missions, dont certaines auront valeur de révélation – notamment celles qui lui donnent l'occasion de découvrir les États-Unis, à Northwestern University d'abord, à l'invitation de Roger Kempf, à New York University quelques années plus tard.

Il semble à Jean-Paul Aron que le plus haut degré de la tragi-comédie bourgeoise est atteint lorsque s'affrontent la volonté de dignité qui caractérise cette classe et l'irrépressible surgissement d'un corps que le xixe siècle ne sait pas encore traiter autrement que par la frénésie normative et indignée de ses magistrats, médecins ou juristes. Avec son ami Roger Kempf, Jean-Paul Aron écrit un chef-d'œuvre d'histoire vivante et provocante, Le Pénis et la démocratisation de l'Occident (1978). Deux ans auparavant, Michel Foucault avait publié La Volonté de savoir. La contradiction des thèses entre ces deux ouvrages est peut-être moins frappante que la divergence des tons. Chez lui, le sérieux de l'historien et l'intelligence critique se marient constamment avec le sens du mythe.

Depuis longtemps, Jean-Paul Aron réfléchissait sur la singularité[...]

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Écrit par

  • : ancien élève de l'École normale supérieure de Saint-Cloud, agrégé, docteur ès lettres, professeur des Universités, professeur à l'université de Neuchâtel

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