SALABREUIL JEAN-PHILIPPE (1940-1970)
Né le 25 mai 1940 à Neuilly-sur-Seine, Jean-Pierre Steinbach – qui prit le pseudonyme de Jean-Philippe Salabreuil – meurt à Paris le 27 février 1970. Trois recueils de poèmes constituent son œuvre : La Liberté des feuilles (1964) – dont le titre est tiré d'un hémistiche emprunté à René-Guy Cadou – est remarqué par Jean Paulhan et obtient sur manuscrit, grâce à ce dernier, le prix Félix Fénéon en 1963, puis le prix Max Jacob. Ce seront ensuite Juste retour d'abîme (1965) et L'Inespéré (1969). Après une licence en droit, Salabreuil travaille pour le C.N.R.S. et prépare une thèse sur « Les Coutumes africaines ». Il fait de nombreux séjours en Afrique où il occupera même un poste de conseiller du ministre de l'Éducation congolais. La poésie, comme il le confiera dans un texte en prose adressé à Claude Michel Cluny et qu'il appelait ses Commentaires lyriques, est une entreprise où les possibilités même de vivre sont en jeu : « Il est un dangereux point de l'esprit créateur. Celui où l'écriture n'étanche plus mais aiguise la soif de l'absolu et commence une lente chute vers le vide et le silence. » Le poème est comme le lieu où la vie fait l'expérience de ses limites, s'épanche et se reprend dans le chant.
Dans La Liberté des feuilles, Jean-Philippe Salabreuil cherche son identité, il s'invente un nom propre (« Saint François et La Fontaine / Essenine et Supervielle ! / C'est ce chien de Salabreuil / Avec sa pelisse en deuil / Qui vous jappe cantilène »), se cherche des ancêtres, imite les poètes baroques ; le chant se fait parfois grinçant mais sans jamais perdre sa fluidité. La rythmique est savante, toujours imprévue, sans égard pour ce qui se fait à l'époque en poésie. La présence de la nature est partout sensible : les éléments, les animaux, les anges, les fleurs, les présences féminines, les étoiles dansent un ballet mi-réel mi-fantastique, léger et grave – « grave à la manière d'une maladie sans doute ».
Juste retour d'abîme se fera l'écho de cette gravité qui confine au tragique, mais aussi de la « grâce qui me rejoint et m'égale à ma vie ». Le poème, en longues laisses ou en proses denses, cherche à se dégager du silence qui envahit tout, obscurcit le passé de l'enfance, renvoie « à ce degré zéro de solitude noire et froide. » La sortie hors de l'abîme se marque dans l'invention d'une parole « juste », attendue, espérée qui a travaillé en sourdine, à même les épreuves d'une « existence intérieure toujours tumultueuse et ravie encore qu'inachevée. » Le verbe – « langage étonné » et non pas « langage étonnant » – est travaillé en vue de rendre au mieux les heurts de la vie et les aléas du destin. Loin d'être le produit d'une volonté exacerbée d'originalité, la surprise des mots, les inversions risquées, les enjambements audacieux, les syncopes violentes, qui donnent un ton si particulier à cette poésie, résultent d'une écoute plus profonde de ce qui se joue dans les couches les plus enfouies de l'existence. Dans L'Inespéré, « l'ardente volonté de salut » semble trouver ses limites face aux tourments de l'inépuisable désir de vivre. Le dernier poème n'est plus qu'un titre : « Et l'amour / que n'a pas épuisé le désir... » Il est suivi du mot « Fin ». Solitaire, singulière, l'œuvre de Salabreuil attend encore ses lecteurs.
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Écrit par
- Francis WYBRANDS : professeur de philosophie
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