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PIAGET JEAN (1896-1980)

Piaget logicien

Que la logique occupe, dans l'œuvre de Piaget, une place centrale, personne n'en disconviendra. Mais, quant à dire exactement quel est son statut et quel rôle elle y joue, quelques explications sont nécessaires.

Il n'est pas douteux, en un premier sens, que la logique forme l'objet même de l'enquête. Structure du savoir, la logique représente l'organisation interne de la pensée du sujet, et la tâche d'une psychologie de la connaissance sera d'en établir les formes et le devenir. Mais, en un second sens, la logique sert de méthode : s'il est vrai que la pensée de l'enfant progresse par structures successives et que cette succession est, elle-même, organisée, une explication du développement mental requiert à titre de modèle un schéma logique des structures et de leur filiation. La fonction de la logique est alors de représenter déductivement ce qui a été constaté empiriquement : ainsi procède toute science.

Or ce double statut a souvent été mal compris, de sorte qu'on a pu simultanément reprocher à Piaget son psychologisme (fonder la logique sur des événements psychologiques) et son logicisme (faire de la logique la norme de la pensée). Mais c'est oublier que la logique, avant que les logiciens ne la constituent en systèmes explicites, représente la forme même de la pensée rationnelle naturelle, et que la constitution de cette ou de ces formes reste, en tout état de cause, un problème de psychologie. Piaget a pourtant été très clair à cet égard, aussi bien pour souligner l'indépendance du travail du logicien et du travail du psychologue que pour justifier leur coopération.

Science expérimentale, la psychologie n'a pas à intervenir dans les problèmes de normes. Mais les normes s'inscrivant dans l'activité cognitive d'un sujet, le psychologue a à décrire et à expliquer les faits normatifs. Science normative, la logique n'a pas à prescrire les faits, mais le psychologue étant lui-même un sujet est fondé, s'il ne veut pas rester lié à l'anecdote, à les représenter selon les normes de sa propre pensée scientifique. Débat jusqu'ici banal : la mathématique ne prescrit pas la physique, mais le physicien explique le monde avec des outils logico-mathématiques. « La logique, écrivait Piaget en 1947, est l'axiomatique de la raison, dont la psychologie de l'intelligence est la science expérimentale correspondante. » Quant au reproche, souvent entendu, selon lequel Piaget aurait prêté au sujet la logique de l'observateur, il ne tient guère puisque l'enquête génétique fait de cette logique un aboutissement et que, pour formaliser les niveaux préformels de la logique du sujet, il a fallu créer des structures nouvelles appropriées. Tels les groupements (de classes et de relations), qui participent à la fois des groupes et des treillis sans en avoir toutes les propriétés et n'aboutirent à la logique booléenne qu'au prix de coordinations nouvelles.

Mais Piaget s'est-il vraiment borné à analyser, dans un langage logique, l'histoire naturelle de la logique du sujet ? Quoi qu'il en ait dit lui-même, on peut en douter. C'est, dit-il, par un décret de l'éditeur que le titre Traité de logique a été donné, en 1949, à un ouvrage qui prétendait seulement à formaliser les structures opératoires réelles de l'enfant (l'ouvrage a été réédité en 1971 sous le titre plus prudent d'Essai de logique opératoire). Mais il suffit de lire la préface de l'ouvrage, ou de le replacer dans la perspective épistémologique qu'on évoquera plus loin pour comprendre que l'ambition va au-delà. Certes, il n'a jamais été question d'ériger en norme ce qui est un fait d'observation. Mais supposons, comme c'est le cas depuis la grande crise du xixsiècle,[...]

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Écrit par

  • : directeur d'études à l'École des hautes études en sciences sociales

Classification

Média

Jean Piaget - crédits : Keystone/ Hulton Archive/ Getty Images

Jean Piaget

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