MARIELLE JEAN-PIERRE (1932-2019)
Marielle, mariolle : le jeu de mot a beaucoup servi, car il qualifie parfaitement l'image que ce grand et lent escogriffe, né le 12 avril 1932 à Paris, aura promenée dans le cinéma français depuis 1950 : rusé, râleur, jouisseur, hâbleur, matamore, grande gueule à la voix caverneuse, ironique, cabot dans la grande tradition des Jules Berry, Pierre Brasseur, Louis Jouvet ou Michel Simon qu'il reconnaissait comme ses maîtres, il aimait être confronté à ses pairs dans des joutes gargantuesques qui sont autant de numéros d'acteurs tonitruants, notamment face à Jean Rochefort et Philippe Noiret. C’est ainsi que dans Que la fête commence (Bertrand Tavernier, 1974), tous trois font assaut de finasserie ou de grandiloquence, et Marielle l'emporte en picaresque dans son rôle de chef chouan irréductible en butte au régent (Noiret) et à l'abbé Dubois (Rochefort). Mais aucune scène ne les réunit. Aussi, vingt ans plus tard, Patrice Leconte les lance-t-il dans une tournée provinciale calamiteuse où ils triomphent en exécutant une pièce d'une ringardise à toute épreuve (Les Grands Ducs, 1995). Trop, c'est trop ? Sans doute un peu.
Voilà où ont conduit le Conservatoire et la Comédie-Française que Jean-Pierre Marielle quitte dès la fin des années 1950 pour le cabaret (avec Guy Bedos), la rive gauche de la Compagnie Grenier-Hussenot puis le Théâtre-Antoine, dont il assure un temps la direction artistique. Tout au long de sa carrière, il interprétera des pièces de Molière, Ionesco, Anouilh, Pirandello, Pinter. Au cinéma, il ne tournera dans aucun film de la nouvelle vague (même pas chez Chabrol pourtant longtemps féru d'acteurs excentriques), mais fréquentera ses alentours dans les années 1960 avec des cinéastes comme Jean Becker, Philippe de Broca, Pierre Grimblat ou Norbert Carbonnaux. La génération 1970 lui est plus favorable, et Marielle devient même le comédien fétiche de Joël Seria et de Claude Berri. Le premier, avec lequel il tourne cinq films durant cette décennie, explore peut-être trop souvent son extravagance mais lui offre aussi son personnage le plus joyeusement anarchisant : il file le parfait amour avec une gamine de seize ans en vendant des glaces sur les plages bretonnes dans Les Galettes de Pont-Aven (1975). Son duo batifolant avec Nicole Garcia dans la campagne du Grand Siècle sur des airs de Rossini est aussi plein de charme (Les Capricieux, Michel Deville, 1984, téléfilm), et on s'étonne que Georges Lautner ne l'ait pas choisi plus souvent (La Valise, 1973, comédie policière loufoque, dans laquelle il se parodie avec fougue). Bertrand Blier, quant à lui, le dirige en tandem avec Jean Rochefort dans son film le plus misogyne réalisé en pleine vague féministe : provocation, démesure, mauvais goût accompagnent les deux acteurs tout au long de leur retraite gastronomique et de leur retour à la nature (Calmos, 1976).
En 1993, Patrice Leconte fait de Jean-Pierre Marielle un vieil excentrique (pourquoi l'appelle-t-on « la reine Astrid » ?), mais à l'impeccable élégance, dans Le Parfum d'Yvonne (d'après le roman de Patrick Modiano, Villa triste), tandis qu'il est un homme usé, désirant une dernière fois connaître une aventure sexuelle, sans romantisme et même plutôt pornographique, dans Le Sourire (Claude Miller). Dans le domaine dramatique, sa création la plus forte reste celle de l'ascète musicien Sainte-Colombe jouant au xviie siècle de la viole de gambe, une musique secrète bannissant toute facilité harmonique (Tous les matins du monde, Alain Corneau, 1991). Par la suite, Marielle se plaira à décliner tous les visages de la vieillesse, luttant par exemple contre la mort à force de marivaudage et de légèreté (Faut que ça danse, Noémie Lvovsky, 2007), ou bien endormi dans la fausse douceur tchékhovienne d'un pré en Bretagne (La Petite Lili, C.[...]
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Écrit par
- René PRÉDAL : professeur honoraire d'histoire et esthétique du cinéma, département des arts du spectacle de l'université de Caen
Classification
Média