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RICHARD JEAN-PIERRE (1922-2019)

Né à Marseille le 15 juillet 1922, critique littéraire et grande figure universitaire (après avoir enseigné aux Instituts français de Londres et d'Espagne, puis à Vincennes de 1968 à 1978, il est devenu ensuite professeur à l’université de Vincennes puis à la Sorbonne), Jean-Pierre Richard est le principal continuateur de la critique « thématique » inaugurée principalement par Gaston Bachelard et Georges Poulet (avec lequel il travailla à Édimbourg), mais développée, ciselée et magnifiée par lui jusqu'à devenir quelque chose de tout à fait spécifique et d'assez unique dans son affinement et sa précision de saisie textuelle.

Critique thématique, la critique richardienne ne se veut ni explication ni interprétation, mais description de « paysages » littéraires, inventaire et répertoire du champ perceptif particulier à un auteur. Reconnaître, au gré de l'étude de cette région profonde de la conscience que Bachelard a nommée l'« imagination matérielle » (les sensations, les rêveries substantielles, les pulsions et les répulsions, les euphories et les dysphories que suscitent certains éléments, certaines matières, certains états du monde extérieur), non seulement le sens et l'unité d'une œuvre, mais aussi le style d'un être-au-monde, les grandes coordonnées du séjour d'un écrivain, voilà son principe et son but.

Refusant les schémas théoriques préfabriqués (à moins de grande pertinence et de liens rigoureux avec le texte commenté), recensant simplement les « motifs » d'une œuvre (les objets concrets obsessionnels qui y circulent de façon préférentielle) pour les organiser en « thèmes » (les grandes unités de signification qui la traversent), c'est à partir du texte analysé et du texte seul, dans ses échos et ses résonances, qu'elle trouve les éléments de sa construction. Elle est donc à sa manière une herméneutique ; une psychanalyse aussi, dans la mesure où elle s'efforce de dévoiler l'implicite derrière l'explicite, le latent derrière le manifeste et parfois de montrer, par-delà le tragique apparent de la biographie d'un auteur, la profonde compensation, le « bonheur » procurés par son projet littéraire – ainsi dans Nausée de Céline (1973).

De par son principe même (son attachement au caractère concret du texte, sa description suggestive de la matérialité des imaginaires littéraires, l'ouverture vers l'existence qu'elle opère dans les œuvres), cette forme de critique est déjà euphorisante et vivifiante ; les qualités propres de Richard la transforment en véritable critique de plaisir. Son ampleur de production et son souci de perfection qui lui font accumuler, au gré de nombreux articles et ouvrages, les coups d'éclat et les événements de lecture ; son gros appétit commentatif qui lui fait absorber tous les grands auteurs français des xixe et xxe siècles et de surcroît certains auteurs négligés (les Goncourt, Huysmans, Colette ou Giono) ; son aptitude à se glisser dans les univers poétiques les plus subtils et fermés (Onze Études sur la poésie moderne, 1964 ; et surtout L'Univers imaginaire de Mallarmé, 1961, qu’accompagne Pour un tombeau d’Anatole, magistrale édition de notes posthumes écrites par Mallarmé à la mort de son fils) et à chevaucher à travers les grands territoires de prose (Paysage de Chateaubriand, 1967 ; Proust et le monde sensible, 1974) ; son écriture, toute de jubilation et de sensualité, qui impressionne par sa somptuosité verbale, sa variété d'attaques, son bel canto même : il y a dans tout cela l'éminente « gourmandise » qui caractérise et anime son œuvre.

Gourmandise qui empêche Richard de s'attarder sur un auteur de prédilection et l'oblige à toujours diversifier ses objets de lecture. Curiosité intellectuelle insatiable aussi, qui[...]

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Écrit par

  • : agrégé de lettres modernes, ancien élève de l'École normale supérieure

Classification

Autres références

  • CRITIQUE LITTÉRAIRE

    • Écrit par et
    • 12 918 mots
    • 4 médias
    Cette psychologie des profondeurs rejoint la critique thématique française de Gaston Bachelard et de Jean-Pierre Richard, fondée sur l'étude des sensations. La catégorie fondamentale reste l'imaginaire et l'hypothèse essentielle est toujours l'unité d'une conscience créatrice, donc de l'œuvre...