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VERNANT JEAN-PIERRE (1914-2007)

L'œuvre de Jean-Pierre Vernant est pour beaucoup liée à une présence, une allure, une voix, à un sens étonnant de la fidélité et de l'amitié, qu'accompagnaient parfois de franches colères. Elle apparaîtra sans doute toujours comme fermement portée par l'idée d'action, dans son contenu d'abord, puisque c'est l'agir humain sous toutes ses formes qui l'a intéressé chez les Grecs anciens, et par son énergie propre. Il n'a cessé, intellectuellement et humainement, d'ouvrir des voies, sans tenir compte des frontières.

Philosophe et militant communiste, Jean-Pierre Vernant est immédiatement révolté par le pacte germano-soviétique, et, après la défaite, passe dès juin à la Résistance. Chef de l'Armée secrète pour la Haute-Garonne en 1942, il jouera un rôle de premier plan dans les F.F.I. et lors de la libération de Toulouse, sous le nom de colonel Berthier. Son travail de chercheur au C.N.R.S., où il entre en 1948, puis son enseignement à l'École pratique des hautes études, à partir de 1958 (à la VIe puis à la Ve section), et enfin au Collège de France de 1975 à 1984, où il intitule sa chaire « Étude comparée des religions antiques », furent des actes de fondation, que ce soit de savoirs nouveaux ou de solidarités fraternelles dans des entreprises collectives de science.

Une nouvelle idée de la culture grecque

Il est peu de dire que Jean-Pierre Vernant a révolutionné l'approche de la culture grecque ancienne, et, au-delà, l'approche scientifique de toute forme culturelle. Ses travaux ont créé une rupture et permis un épanouissement inattendu, au point que l'ensemble des hellénistes, en France, mais aussi en Europe, aux États-Unis, en Amérique latine, travaillent à partir de ses résultats et, surtout, des questions qu'il a ouvertes. Son travail a également transformé d'autres disciplines, anthropologie, histoire, sociologie, sémiotique, etc.

Au sortir de la guerre, Jean-Pierre Vernant trouve les études grecques dominées par les approches qui, depuis la fin du xixe siècle, avec la fondation nouvelle des universités, définissaient un paradigme scientifique précis, constitutif d'une tradition nationale plutôt close. La science française de l'Antiquité s'organisait alors autour de trois pôles légitimes d'excellence : l'archéologie, la linguistique historique et l'histoire des textes. Ces disciplines tiraient leur force de leur capacité à établir méthodiquement des faits en constituant, dans une perspective analytique, des régularités contrôlables sur une base empirique sans cesse élargie. Leur prédominance signalait un double refus : d'une part, le refus de considérer la culture grecque prise dans son ensemble comme un objet scientifique possible ; cette approche était plutôt laissée au goût et à l'appréciation des lettrés ; par là, ces sciences rompaient avec l'emprise sur les études classiques de la philosophie d'origine cousinienne qui cherchait à définir un esprit grec à partir de la littérature et de la philosophie ; d'autre part, le refus de traiter l'interprétation littéraire comme une science. La greffe philologique n'avait pas vraiment pris en France ; l'interprétation des œuvres était plutôt une matière scolaire, non critique, réservée à la préparation des concours comme l'agrégation des lettres. D'un point de vue scientifique, les œuvres n'intéressaient qu'en tant que témoignages des divers états de la langue grecque, ou encore pour leur transmission manuscrite jusqu'à la Renaissance.

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