VINCENT JEAN-PIERRE (1942-2020)
Pendant plus de cinquante ans, Jean-Pierre Vincent, metteur en scène, directeur de théâtre et exceptionnel pédagogue, a œuvré pour un théâtre vivant, où les valeurs civiques et politiques qu’il défendait iraient de pair avec des choix esthétiques d’une grande rigueur.
Né le 26 août 1942 à Juvisy-sur-Orge (Essone), Jean-Pierre Vincent fait ses débuts avec Patrice Chéreau en participant au groupe théâtral du lycée Louis-le-Grand. Ces années sont marquées par la découverte de Bertolt Brecht, qui demeurera pour le metteur en scène une référence prépondérante. Dès 1966 éclate à Gennevilliers L'Affaire de la rue de Lourcine, un Labiche iconoclaste mis en scène par Patrice Chéreau et dans lequel joue Vincent. Lorsque la municipalité de Sartrouville souhaite s'attacher une troupe permanente, elle fait appel à Chéreau. Jean-Pierre Vincent va l’accompagner. L'expérience dure un an et se solde par des dettes considérables ; 1968 attise les conflits, Chéreau doit partir, la troupe se disloque.
À Grenoble, alors que Jean-Pierre Vincent assiste à un colloque sur Brecht, il rencontre un jeune universitaire cinglant et contestataire, Jean Jourdheuil. Leur humour et leurs interrogations s'accordent, ils s'associent. En 1968, ils montent en Bourgogne La Noce chez les petits-bourgeois de Brecht, chef-d'œuvre méchant qui retrouve le délire dévastateur des grands burlesques américains. On commence ainsi à parler des « Vincent-Jourdheuil », metteurs en scène et dramaturges au sens allemand du terme, c'est-à-dire dégageant les implications historiques, politiques et philosophiques d'un texte. C'est la première association de ce genre en France. Elle durera sept ans. Vincent-Jourdheuil montent notamment Tambour et trompettesde Brecht, Le Marquis de Montefosco de Goldoni, une première version de La Cagnotte de Labiche. Leur style se caractérise par un jeu démonstratif, appuyé sur le comique de rupture et la critique sociale, et opéré à travers le démontage de textes mineurs. Avec leur première œuvre contemporaine, Capitaine Chelle, capitaine Eçço de Rezvani (1971), le burlesque fait place à un jeu plus concentré. Une deuxième version de La Cagnotte, plus noire et d'ailleurs mal équilibrée, amorce un tournant, et avec Dans la Jungle des villes (1972) commence l'approche de textes complexes comme l'intrusion d'un onirisme révélateur.
Vincent-Jourdheuil fondent un collectif. Cette compagnie, dont chaque membre doit assumer, selon sa fonction, l'ensemble du travail, s'associe à la compagnie de ballets du théâtre du Silence et à l'Ensemble de musique vivante pour prendre en main le théâtre Le Palace, à Paris. Ils y présentent Dom Juan et Faust de Grabbe (1973), et de Büchner un Woyzeck (1973) enveloppé des brumes tragiques de la folie. Mais l'argent manque pour supporter les frais d'exploitation d'une salle privée. La compagnie redevient errante. La mécanique du comique agressif est oubliée. En 1974, une deuxième version de La Noce chez les petits-bourgeois revendique l'héritage de Karl Valentin, son comique pincé et critique. Cette même année, La Tragédie optimiste de Vsevolod Vichnevski fait vivre dans la lumière bleue du souvenir les tableaux allégoriques de la révolution russe. Pour le Jeune Théâtre national de l’Odéon, Vincent met en scène En r'venant d' l'expo (1975) de Jean-Claude Grumberg.
En 1975, il est nommé directeur du Théâtre national de Strasbourg (TNS). Jean Jourdheuil se sépare de lui car sa conception du théâtre lui semble incompatible avec les contraintes de l'institution. Avec le dramaturge Bernard Chartreux, qui l’accompagnera désormais tout au long de sa carrière, Jean-Pierre Vincent va reconstituer un collectif permanent. Les décisions concernant la programmation et le travail sur les pièces doivent être prises[...]
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Écrit par
- Colette GODARD
: journaliste et critique dramatique au journal
Le Monde
Classification
Médias
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