HUGUENIN JEAN-RENÉ (1936-1962)
La mort accidentelle de Jean-René Huguenin, à vingt-six ans, livre au lecteur le témoignage d'un jeune intellectuel des années 1950 qui n'a pas eu le temps de se renier. Le lire aujourd'hui ; c'est faire surgir dans leur fraîcheur et leurs maladresses les questions éthiques et esthétiques que se pose un garçon ambitieux, farouchement décidé à devenir écrivain. Son seul roman publié, La Côte sauvage (1960), a peut-être moins d'intérêt que son Journal (1964), régulièrement tenu depuis sa dix-neuvième année (avec quelques interruptions) et qui s'arrête quelques jours avant l'accident d'automobile dans lequel il trouva la mort en 1962, au cours d'une permission, alors qu'il effectuait son service militaire.
Issu d'un milieu aisé et catholique, fils de médecin, Jean-René Huguenin commence lui-même des études de médecine qui le retiennent moins que la passion d'écrire. On le voit aussi à Sciences Po préparer l'E.N.A. Il fait la connaissance de ceux qui vont fonder la revue Tel Quel (Renaud Matignon, Jean-Edern Hallier et Philippe Sollers notamment), dont il s'éloignera d'ailleurs assez vite. Dans son Journal, on suit jour après jour l'évolution du projet, et c'est pour Huguenin l'occasion d'évoquer son amitié pour J.-M. Le Marchand ou de brosser des portraits sans aménité de Hallier ou de Sollers. Au-delà de la chronique des années 1955-1962, le Journal est l'œuvre d'un moraliste égotiste, engagé dans la recherche ardente de la force intérieure, la fierté, la joie et la foi. Les formes du travail sur soi évoluent au cours de ces sept années. Des déclarations de principe encore empreintes de fougue et de naïveté, on passe à une introspection plus profonde, à une réflexion attachée à la responsabilité de vivre plutôt qu'aux dissertations adolescentes, sur la pureté virile, la noblesse de la solitude et le dégoût du médiocre. Le sentiment d'appartenir à une génération nouvelle lui fait revendiquer les grandes révoltes purement intérieures, et c'est l'écriture qui apparaît comme le fil rouge de sa vie. Contemporain d'un fort moment de confusion entre littérature et engagement, l'auteur se montre plutôt étranger à la démocratie (le Maurras et notre temps de Henri Massis l'impressionne beaucoup). Les allusions à la guerre d'Algérie souligneraient plutôt son souci d'y échapper, et ce qu'il attend de la « haine » des Arabes, c'est qu'elle déclenche un sursaut d'honneur chez les Français. La vie littéraire des années 1950 défile en arrière-plan. Avec Jean-Edern Hallier, Huguenin entretient des relations irrégulières et orageuses : les adjectifs dépréciatifs pleuvent sur cet être « maléfique ». Pour Philippe Sollers, il a de l'admiration ; mais il juge le personnage stérile, narcissique, ouvert au seul plaisir. Des hussards Nimier, Blondin ou Laurent, il n'est pas dit beaucoup de bien, pas plus que de Minou Drouet, Françoise Sagan, Michel Butor ou même Michel Leiris, qui déclenche un enthousiasme jugé ridicule. Les modernes, d'ailleurs, comptent moins que les classiques qui passent en cohorte : Pascal, Baudelaire ou Shakespeare, Rimbaud et Bernanos, Green et Péguy, Lermontov ou le Narcisse de Valéry, « beau à pleurer ». Huguenin applaudit à la majorité qu'obtient le général de Gaulle, cet « âne prétentieux » qui incarne néanmoins une « France héroïque et généreuse ». Mais il déplore que ce soit aussi une majorité qui, aux éditions du Seuil, salue Faye, Bresson, Vadim, les intellectuels de gauche, et qu'elle soutienne « l'impuissance, l'ennui, l'indécision, la mauvaise conscience ». Ce qu'il attend du roman comme de la vie, c'est le courage créateur, l'honneur, la beauté et les passions. La société des âmes fortes est un idéal pour qui connaît surtout « la[...]
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Écrit par
- Michel P. SCHMITT : professeur émérite de littérature française
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