ROLIN JEAN (1949- )

Écrire en voyageant

Jean Rolin ne se sent pas davantage un écrivain voyageur. Un écrivain qui voyage, c’est sûr : le monde est le terrain d’observation qu’il arpente en piéton.  Le lecteur le découvre avec lui, dans le mouvement qui mène au point final. Ce pas du piéton semble paradoxal à l’heure des transports rapides, presque instantanés. Le Ravissement de Britney Spears (2011) en est le meilleur exemple. Dans ce roman d’une tonalité parfois grotesque, le narrateur, une sorte d’agent secret arrivé du Tadjikistan, doit suivre une vedette people dans Los Angeles. Elle ne circule que dans son 4 × 4 ; il emprunte les bus et le métro de la ville. Le roman devient une exploration des marges de la cité californienne. Marcheur à Los Angeles, le narrateur l’est également dans Zones (1995) ou dans La Clôture (2002). Le premier titre décrit un Paris peu touristique vu des espaces publics et des transports en commun. Le second s’attache à un morceau du périphérique, entre la porte de Saint-Ouen et la porte d’Aubervilliers. Jouant sur les écarts entre les registres de langue, le narrateur donne à entendre les voix des passagers, des habitants, mêle dialogues et description méticuleuse de ces lieux d’apparence banale qu’il magnifie.

Jean Rolin est en effet un écrivain qui résiste. Et d’abord à la vitesse, à « l’information » ponctuelle et erronée. Dans Chrétiens (2003), il rencontre la minorité catholique qui vit en Palestine. Elle se fait discrète, partagée entre espoir et crainte. Ce qui est arrivé depuis lors aux chrétiens d’Orient, contraints de fuir leur terre ancestrale, est en germe dans ce récit. Rolin lutte aussi contre une dépréciation de la langue, contre son affadissement ou son mauvais emploi. Il résiste enfin à un certain ordre des choses. Campagnes (2000) décrit la guerre en Bosnie, et l’étonnement devant ce conflit qui éclate dans une Europe qu’on croyait préservée depuis 1945. La guerre civile qui oppose les Bosniaques aux Serbes, et notamment le siège de Sarajevo et le pillage des campagnes, constitue un moment clé dans la vie de l’écrivain. On en trouvera l’écho dans Les Événements (2015), récit d’une guerre civile en France dont on ignore les causes. On en voit les effets, entre un Paris vidé de ses habitants et les Bouches-du-Rhône partagées entre factions aux noms à la fois étranges et transparents. On aurait cependant tort de ne voir dans les textes de Rolin que la fureur du monde : le passage des saisons, la présence de la nature dans ses cours d’eau, sa végétation et ses animaux mettent à distance le possible tragique, créent l’atmosphère par un sens du détail, du décalage, qui peuvent faire rire ou sourire.

Les récits ultérieurs de Jean Rolin vont poursuivre l’exploration de lieux en marge avec une dimension autobiographique plus ou moins marquée. Savannah (2015), livre de deuil, se déroule dans cette ville des États-Unis où l’accompagna Kate, désormais disparue. Crac (2019) est caractéristique du reportage à la Rolin : l’événement l’intéresse dans sa durée. Se rendre dans les châteaux forts bâtis par les croisés est une manière de relater – indirectement – la guerre civile en Syrie. Le Traquet kurde (2018) rappelle le goût de l’écrivain pour l’ornithologie, mais aussi pour certaines figures d’aventuriers ou d’espions tels T. E. Lawrence ou Saint John Philby, à la lisière de la mythomanie. Un même goût pour le paysage méconnu, ignoré et pourtant parlant se lit dans Le Pont de Bezons (2020) et La Traversée de Bondoufle (2022). Jean Rolin voyage en banlieue comme en Guyane (Les Papillons du bagne, 2024).

Le jeune étudiant qui écrivait des articles pour Tout l’Univers, encyclopédie du début des années 1960, est resté un homme des Lumières. Curieux de tout, il a l’art de « vulgariser », de rendre passionnant le goéland de la Crau ou le rat musqué en[...]