ROYÈRE JEAN (1902-1981)
Le décorateur Jean Royère est né à Paris en 1902. Après une courte carrière dans le commerce auprès de son oncle au Havre, ce fils de haut fonctionnaire se lance dans la décoration à Paris, à l'âge de vingt-neuf ans.
Autodidacte, le jeune décorateur explore d'abord l'œuvre de ses aînés avant de forger son propre vocabulaire formel. Ses premiers projets témoignent d'une admiration pour le décorateur Jacques Émile Ruhlmann dont il reprend l'élégance des lignes, le goût des matériaux précieux, comme l'ébène de Macassar ou le palissandre. À côté de ces ensembles luxueux, Jean Royère propose une production à bon marché fabriquée à partir de matériaux industriels. L'influence évidente de l'esthétique épurée de l'avant-garde est visible dans l'aménagement de la brasserie très en vogue du Carlton sur les Champs-Élysées, réalisée en 1933. Pour cet ensemble, Royère conçoit un mobilier en tube métallique adapté aux processus industriels, exempt de tous motifs ornementaux. Cet aménagement lui ouvre la porte, en 1934, de l'éditeur de meubles Pierre Gouffé qui lui confie la section contemporaine de ses ateliers du faubourg Saint-Antoine. Celui-ci lui permet d'exposer la même année au Salon d'automne puis au Salon des artistes décorateurs et d'en devenir sociétaire. Pour le Salon des arts ménagers qui l'accueille à partir de 1936 il réalise un mobilier à prix réduits pour une maison de week-end et, en 1939, le mobilier d'une chambre d'hôtel soumis à de rigoureux principes fonctionnels.
L'Exposition internationale de Paris, en 1937, le consacre comme l'un des grands décorateurs de l'époque. Mais c'est seulement en 1939 que se dessine ce style si caractéristique qui fera son succès après la guerre. Cette nouvelle orientation résulte des conclusions qu'il tire des solutions proposées par l'avant-garde : mobilier de série et à bon marché, habitat minimal. Pour Royère, le mauvais accueil que le public réserve à ce mobilier et plus largement à cette conception de l'espace intérieur s'explique par son anonymat. Il faut revenir au décor et à l'ornement qui permettent de personnaliser un intérieur et lui donnent une âme.
Tout en respectant les principes du mobilier fonctionnel et en restant fidèle aux matériaux industriels, Jean Royère se constitue un répertoire décoratif composé de formes géométriques simples. Ainsi le métal prend la forme d'une vague, d'un chevron, d'un carré, d'un cercle ou d'un croisillon. Appliqué à l'ensemble du mobilier d'une pièce, le motif décoratif souligne les lignes d'un meuble ou, en jouant un rôle architectonique, définit sa forme. Ainsi la sinusoïde pourra souligner les contours d'une armoire, dessiner un dossier de siège, un plateau ou un piètement de table. À ce vocabulaire ornemental, s'ajoute un travail sur la couleur et les matériaux qui vont eux aussi participer au décor. Pour le boudoir, présenté au Salon des artistes décorateurs de 1939, qui fait figure de manifeste dans ses nouvelles recherches, Royère choisit le vert antique pour tapisser les murs, l'orange pour le plafond, la couleur saumon pour recouvrir un canapé et un fauteuil, un rouge soutenu pour les luminaires et un tissu de chintz bleu nuit à pois blancs pour la chaise « trèfle » et le fauteuil « éléphanteau ». Recherchant des effets de surprise, Jean Royère introduit des matières naturelles comme le raphia, le liège ou la fourrure et des matériaux industriels comme la toile cirée, qu'il conjugue, de manière incongrue, à de belles matières comme le parchemin, le bronze ou le palissandre.
La condamnation de ces nouvelles recherches par la critique ne décourage pas le décorateur qui poursuit son activité pendant la guerre. À la Libération,[...]
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Écrit par
- Pierre-Emmanuel MARTIN-VIVIER : historien d'art
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