SABLON JEAN (1906-1994)
La carrière de Jean Sablon – né le 25 mars 1906 à Nogent-sur-Marne, décédé à Cannes-La Bocca le 24 février 1994 – se présente comme un long paradoxe. Nul chanteur ne fut plus français que lui. Pourtant Paris et la France le boudèrent longtemps alors que l'opinion américaine voyait en lui the French Troubadour ou the French Crosby, parlant plus qu'il ne chantait sur des musiques et des textes très marqués par le goût français. Ainsi furent captivés les Américains de la bonne bourgeoisie et les professionnels du spectacle, sensibles à l'esprit de Paris.
Dans l'histoire de la chanson française, Jean Sablon occupe ainsi une position clé, à la charnière de deux mondes – l'ancien et le nouveau –, de deux styles – celui de la voix et celui du micro –, de deux temps – celui de l'avant-guerre et celui de l'après-guerre.
C'est en 1933, en Californie, que Jean Sablon découvre le micro, qui non seulement amplifie la voix mais en restitue la confidentialité. Dès lors, il va cultiver le pouvoir du micro, truchement électroacoustique d'une voix profondément charnelle, et rester avant tout le chanteur du disque et de la radio.
Plus peut-être que sa France natale, l'Amérique des crooners aura donc été sa terre d'élection. Pourtant, ses débuts français datent des années 1930, quand il était le partenaire de Mistinguett au Casino de Paris et qu'il chantait Puisque vous partez en voyage (1931), désormais un classique de la chanson française, tout comme les succès qu'il devait partager avec Mireille : Le Petit Chemin (1932) et, plus tard, Je tire ma révérence, J'attendrai, Vous qui passez sans me voir (1939). Cette chanson, que lui proposèrent les jeunes Charles Trenet et Johnny Hess, allait devenir son indicatif scénique. Pour son répertoire et sa voix singulière, il imagine un habillage instrumental discret et raffiné autant que musicalement subtil, grâce au guitariste Django Reinhardt, au pianiste Alex Siniavine, au saxophoniste André Hekian et au violoniste Stéphane Grappelli. C'est sous ces couleurs que Jean Cocteau se fait le chantre de Jean Sablon au Bœuf sur le toit et au Café de Paris, à Londres.
Ses liens étroits avec le milieu musical et radiophonique new-yorkais le rapprochent du monde du jazz. Le chanteur travaille ainsi avec George Gershwin et Cole Porter. Par ailleurs, il se produit dans une revue de Broadway, Streets of Paris, avec Carmen Miranda et Abbott et Costello.
Ses seconds débuts à Paris ont lieu à l'A.B.C. en 1939. Jean Sablon y interprète les succès déjà cités mais aussi, dans des versions « jazzées », Sur le pont d'Avignon et Le Fiacre qu'Yvette Guilbert vient de relancer. La guerre le surprend au Brésil. De là, il regagne les États-Unis où il se joint aux émigrés français des arts et de la littérature. Lors de son retour à Paris, en 1945, il constate une certaine gêne de l'opinion, qui l'assimile rapidement à un produit américain. Ce n'est qu'en 1950 qu'il triomphe de ce handicap, quand il se produit au théâtre de l'Étoile avec un répertoire élargi comportant, notamment, Les Arbres de Paris, Utrillo, Aimer comme je t'aime... Plus tard, il chante Syracuse qui convient particulièrement à son style singulier. Ses derniers feux seront pour le Lincoln Center en 1981, et pour Rio de Janeiro où il fait, en 1983, ses adieux à la scène.
La carrière de Jean Sablon coïncide avec les noces nouvelles de la poésie et de la chanson qu'ont célébrées Mireille et Trenet. Il reste aussi un exemple à méditer : Sablon a su profiter des acquis des modes made in USA pour fertiliser son répertoire et lui donner une tonalité inédite.
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Écrit par
- Guy ERISMANN : écrivain et musicologue, secrétaire général adjoint de l'Académie Charles-Cros
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