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JEAN SCOT ÉRIGÈNE (810 env.-env. 877)

Théophanies et divinisation

Paradoxalement, les théophanies sont liées à la déchéance de l'intelligence (mens, animus, intellectus, νο̃υς) qui n'a pas su se maintenir dans sa condition primordiale, c'est-à-dire dans l'unité indivise des causes. Le péché originel a provoqué la procession, l'« irruption », ou l'« inondation » des causes dans la multiplicité intelligible ou spatio-temporelle des effets créés tels qu'ils apparaissent dans l'univers décrit par le De divisione d'après le chapitre ier de la Genèse. Mais cette situation présente (nunc) est provisoire et illusoire. L'intelligence y est altérée, paralysée, obscurcie ; et elle ne retrouvera sa réalité plénière, libre, indivise et éternelle que par le retour aux causes. Ce retour, d'ailleurs, entraînera la restitution à ses propres causes de l'ensemble de l'universitas, qui est contenue par essence dans le νο̃υς et qui, déchue dans la déchéance du νο̃υς, sera sauvée dans le salut du νο̃υς. Bien qu'elle relève d'abord du νο̃υς lui-même et de la grâce d'en haut, la démarche salvatrice s'appuie, au moins à ses débuts, sur deux « soutiens anagogiques » qui l'aident à s'arracher à l'ignorance et à la déchéance présentes : la nature (les natures créées, comme images de Dieu et des causes) et l'Écriture (comme révélation de Dieu). Mais l'une et l'autre ne peuvent être utiles et normatives pour le νο̃υς que dans la mesure où celui-ci y retrouve sa propre norme. La seule fin possible du νο̃υς est, en effet, de retrouver Dieu en se retrouvant lui-même.

Il y parviendra, comme chez le pseudo-Denys, par une démarche essentiellement négative qui le fera critiquer et rejeter tous les noms de Dieu. Plus systématique et plus radical que Denys, Jean Scot applique ce traitement à chacune des catégories d'Aristote (De div., I), ce qui l'amène à rejeter formellement la notion de relation (πρ́ος τι), si importante en théologie trinitaire, et même la notion d'amour (ramenée aux catégories d'action et de passion) que l'Écriture a pourtant identifiée à Dieu. Dépassant encore la lettre de Denys, Érigène précise qu'on doit entendre dans un sens strictement négatif tous les superlatifs en ‘υπ́ερ- (super, plus quam) du corpus aréopagitique, qui, nullement négatifs en apparence, le sont surabondamment pour l'esprit : « In superficie enim negatione carent ; in intellectu negatione pollent » (cf. De div., I, 462 c).

Même accentuation de la symbolique dionysienne dans le sens de la négativité. Commentant le chapitre ii de la Hiérarchie céleste, Jean Scot admet avec Denys la supériorité des images dissemblables sur les images ressemblantes pour la raison que les premières répondent mieux à leur fonction « anagogique » et « négatrice ». Mais il élabore en outre une doctrine du symbole « tératologique » (le cas extrême de la dissemblance), qui, précisément par son caractère monstrueux (difformités, amputations ou excroissances contre nature, mélange de plusieurs natures dans un seul individu, etc.), permet d'écarter plus facilement et de nier toute forme sensible et toute nature empirique, lorsque le νο̃υς se cherche lui-même, au-delà de tout. Aussi bien au niveau des sens qu'à celui de l'intelligence, la négativité, qui correspond à la démarche « cosmolytique » du retour à soi-même et à Dieu, sera toujours préférée à l'apparente positivité de l'affirmation, qui correspond à la procession « cosmogonique » hors des causes, loin de soi et loin de Dieu.

Le retour aux causes ou à la vérité indivise des natures est une œuvre de l'intelligence-nature (νο̃υς) qui, comme telle, est déjà un certain don de Dieu (datum). Mais c'est[...]

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Écrit par

  • : directeur d'études à l'École pratique des hautes études (Ve section), honorary member of the Royal Irish Academy, Dublin

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