BACH JEAN-SÉBASTIEN (1685-1750)
L'homme de foi
À pousser aussi loin dans l'art d'être, Bach éclaire les dimensions profondes de sa mystique. Il y pense moins qu'il ne la respire. On comprend, à le voir tel, qu'il n'avait nul besoin d'une église (sinon pour lui assurer ses légitimes revenus). Son fils Carl Philipp Emanuel, le Bach de Berlin, ne cachait pas que le travail des fameuses cantates était une obligation en vue du pain quotidien. Son père, en toute loyauté, eût pu dire la même chose. Il est vrai que cette couleur du temps, cette grisaille extérieure qui affectent parfois sa musique, ce sérieux-des-bons-usages sont le tribut versé inévitablement à la nécessité quotidienne. Le fond de la nature de Bach est beaucoup plus insolite, on pourrait même dire sauvage, que ce que les apparences exigeaient. Sa foi préserve son autonomie. Ses goûts pour la théologie ne lui fournissent que des occasions d'en traiter pertinemment et par voie dialectique. En réalité, son Dieu le constitue organiquement, si l'on ose dire, et, pour lui, c'est la première reconnaissance. De là cet apaisement spontané de l'Esprit saint, par exemple, qui n'a rien pour lui du tourmenteur, comme il en va pour beaucoup de mystiques. Il suffit de constater ce que sa musique nous exprime à son sujet pour voir que Bach ignore ce conflit.
Aussi les objections des piétistes au sujet de la musique le laissèrent-elles indifférent, passé la colère. Ils attaquaient l'empirisme de sa foi, et le mot est court. Il faudrait dire sa vie même. Nul argument n'eût compensé sa faillite, et l'insulte à l'évidence : « Me reconnaissant doué pour établir une musique régulière pour la plus grande gloire de Dieu... et l'éducation de mon prochain... » Tout ce qui peut aller contre cela est d'avance banni et doit l'être. Les inquisiteurs de diverses obédiences n'eussent certainement pas aimé le personnage et eussent flairé en lui quelque hérésie... Cela ne signifie pas que Bach ne souffrait pas de mélancolie, voire, vers la fin, d'une claustration un peu hypocondriaque. De même, trop de morts parmi ses enfants et ses proches l'affectèrent, pour que l'on ne puisse s'expliquer cette nostalgie de délivrance qu'il éprouvait à penser à l'au-delà. Mais il est évident qu'il ne cessa de reprendre force en son Dieu ; non point tant à argumenter sur ses raisons de croire en lui qu'à s'abandonner aux constances d'une façon d'être par lui. Sa musique était un acte nouménologique permanent ; ce que ne peuvent comprendre que ceux pour qui il en va de même. Tout analyste se voit forcé de constater ce fait secret d'une structure complexe, qui n'est pas séparable du résultat que l'œuvre nous présente.
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Écrit par
- Luc-André MARCEL : compositeur, inspecteur principal de la musique au ministère de la Culture, Paris
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