BACH JEAN-SÉBASTIEN (1685-1750)
Le baroque et l'homme des synthèses
Cependant, l'œuvre de Bach est l'une des moins naïves qui soient. Il suffit de le comparer à Monteverdi, par exemple, pour comprendre ce dont notre cœur peut se plaindre. Nous évoluons très loin de cette fraîcheur de naissance que possédait auparavant le tonalisme. Très loin aussi, et plus encore, de ce que souhaitait capter l'esprit de la Renaissance. Cette douce ténuité d'aurore qui baignait la musique des madrigalistes, par exemple, laisse place à un midi dont la touffeur est assez oppressante. Bach est un adulte. Le dressage que propose le Klavierbüchlein à lui seul le démontre. Musique dont l'efflorescence se développe au centre d'une époque déjà durcie et où les morales d'État n'ont que faire de la notion de bonheur. Les compensations de poétique ne peuvent, dès lors, échapper entièrement aux nécessités du jour. C'est pour cette raison que ce que nous appelons la musique baroque entend peindre les dualités et les troubles dont le temps est chargé. Le romantisme n'est pas loin, l'orage couve. L'excès même des arabesques, la prolifération des possibles qui caractérise les expressions musicales, cette avancée d'une forêt de Brocéliande où tout peut être suggéré, et transformé, peignent l'amer délice de devoir vivre sans innocence. Mais que fallait-il, sinon s'abandonner à l'art pur d'une complétude de soi, et faire fortune de l'ambiguïté que comportait l'époque et que l'on ne pouvait pas outrepasser, sinon par la qualité de l'ouvrage entrepris ? C'est la grande sagesse de Bach que de n'avoir pas eu, au point d'engendrer un déséquilibre, la nostalgie de ce qui n'était plus possible en lui. La prudence qu'il met à ne point s'engager dans l'aventure de la jeune musique galante s'exerce aussi à ne point s'abandonner à ce qui n'est plus. Passé et avenir sont ainsi retenus, et leurs charmes exorcisés. Il est admirable qu'un génie soit, à ce degré, et touchant tant de points difficiles, justifiable. Une grâce est sur lui, et comme tangible. Peut-être est-ce, sans trop l'avouer, ce que nous admirons avant tout en cet homme. Une aisance à être, sans précédent, et l'art d'être tel, sans souci d'originalité préalable. Nul doute que son œuvre nous présente longtemps encore une infinité de leçons. Nous ne cessons de commencer la musique, et l'histoire, en conséquence, ne cesse d'être neuve à nos yeux. C'est beaucoup, en regard des famines, qu'un pain quotidien...
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Écrit par
- Luc-André MARCEL : compositeur, inspecteur principal de la musique au ministère de la Culture, Paris
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