SERVAIS JEAN (1910-1976)
Un thème, le mal de la jeunesse, qui réapparaît périodiquement au théâtre comme au cinéma, devait servir de point de départ à la carrière de Jean Servais.
S'il n'apparaît pas au firmament théâtral ou cinématographique comme un acteur de tout premier plan, Servais laisse cependant le souvenir d'un artiste probe dont le talent et le travail servaient plus efficacement qu'un jeu brillant la structure d'une pièce.
Jean Servais est né à Augers, en Belgique. Vite passionné par le théâtre il a la chance, après de bonnes études, d'être distingué par le metteur en scène Raymond Roulleau qui lui confie à vingt ans d'interpréter Le Mal de la jeunesse de Ferdinand Bruckner au Théâtre des Arts, dans la traduction de Renée Cave. La pièce, qui se déroule dans une ville universitaire, brosse un tableau tragique de la jeunesse allemande en 1925. Jean Servais devient célèbre à Paris du jour au lendemain, bientôt le cinéma le requiert. Abel Gance le remarque et confie à ce jeune premier un peu gauche – maladresse qui le sert – un rôle dans Mater dolorosa (1932).
Son succès est fait de cette honnêteté foncière qui émane d'un visage sans beauté particulière mais viril, d'un physique empreint de discrétion et de résolution. Une voix un peu sourde, reflet d'une conscience, confère à ses rôles une humanité que le public reconnaît. On le voit dans Les Misérables, dans le rôle de Marius – l'honnête Marius – puis, promotion, dans Angèle, film de Marcel Pagnol (1934).
Comme tant de comédiens que la guerre effaça de distributions et de pièces éclatantes, Servais ne s'affirma réellement qu'à l'issue de la Seconde Guerre mondiale. Sa personnalité s'est réalisée et ne s'arrête plus aux seuls rôles de jeune premier qui lui avaient été confiés jusqu'alors. Son métier est étonnamment dominé, c'est désormais celui d'un homme las, aux traits burinés, aux paupières lourdes ; on pourrait croire à un désenchantement. Mais c'est aussi un homme assumant son destin, même quand celui-ci pèse le poids d'une passion. Sa voix elle-même sert prodigieusement cette apparence mélancolique, une voix prenante qu'on ne saurait oublier et qu'utilisent parfaitement les techniques du cinéma. Le cinéma le tient et ne le lâchera plus. Les films s'additionnent ; d'Yves Allégret, Une si jolie petite plage (1949) ; de René Clément, Un Château de verre (1950) ; de Max Ophüls, Le Plaisir (1952). Mentionnons également Mademoiselle de La Ferté (1949) de Roger Dallier, d'après le roman de Pierre Benoit, puis Mina de Vaugher et Rue de l'Estrapade en 1952.
Enfin le voilà populaire avec Du rififi chez les hommes (1954) de Jules Dassin, tandis que le mettent en valeur Les héros sont fatigués d'Yves Ciampi (1955) et Celui qui doit mourir de Jules Dassin (1957), occasion d'une création particulièrement remarquable. On le verra encore dans Tamamgo (1958), puis dans La fièvre monte à El Pao de Buñuel (1959) et dans Les Menteurs, de Edmond T. Greville (1961).
Durant les mêmes années, alors qu'ils dirigent le Théâtre Marigny aux Champs-Élysées, Jean-Louis Barrault et Madeleine Renaud l'emploient fréquemment. On peut considérer comme un très grand rôle de sa carrière de théâtre la composition inoubliable qu'il fit d'un personnage de Jean Anouilh dans La Répétition ou l'Amour puni (1952), celui de Héro, personnage insoutenable où le comédien se devait de dominer l'homme dans un rôle sombre de séducteur-démolisseur. Sa voix pesante laissait tomber le triste idéal : « J'aime casser », où s'épanouissait le personnage désenchanté et désenchanteur qui restera l'une des images émouvantes qu'il a laissées à la scène.
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Écrit par
- Jean BERGEAUD : critique dramatique, homme de lettres
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