MOREAU JEANNE (1928-2017)
Une volonté d’éclectisme
La carrière de Jeanne Moreau est à l’image de ce tourbillon, une des plus brillantes du cinéma français, mais aussi une des plus éclectiques. Un « éclectisme » qu’il faut entendre comme une qualité majeure, intrinsèque à la personnalité de l’actrice, et qui lui permet de perturber constamment son image. Ainsi, elle surprend en abordant sur le tard le registre comique : d’abord dans Le Miraculé (1987), belle réussite de Jean-Pierre Mocky avec Jean Poiret et Michel Serrault, puis dans La Vieille qui marchait dans la mer (Laurent Heynemann, 1991), qui lui vaut enfin un césar de la meilleure actrice. Célébrée dans nombre de grands films, sa silhouette, ses traits, ses lèvres, sa voix peuvent illuminer un film, même d’une (trop) brève apparition. Dans le très beau film désenchanté de Theo Angelopoulos, Le Pas suspendu de la cigogne (1991), elle insuffle ainsi une puissance tragique à une scène inattendue dans le rôle de l’épouse déchirée et désemparée d’un réfugié non identifié (Marcello Mastroianni). Dans Le Temps qui reste (2005), de François Ozon, la grand-mère qu’elle incarne sans apprêt reçoit dans une séquence unique la confidence de son petit-fils (Melvil Poupaud), atteint d’une maladie brutale et incurable. À la joie intérieure d’être la seule à se voir confier ce secret se mêle la prise de conscience terrifiante que son âge lui vaut cette complicité soudaine.
En 1964, lorsque Louis Malle dirige Jeanne Moreau et Brigitte Bardot dans une pochade aujourd’hui vieillie, Viva Maria !, politique et révolution ne sont que prétextes superficiels. Plus tard, Jeanne Moreau ne rechignera jamais à faire part de ses partis pris en matière sociale et politique. Outre un féminisme constant et souvent directement militant, le nazisme et l’Holocauste hantent nombre de ses films tout comme l’œuvre de Marguerite Duras. En 2003, elle écrit avec Marceline Loridan-Ivens, Jean-Pierre Sergent et Elisabeth D. Prasetyo, le scénario de La Petite Prairie aux bouleaux, réalisé par cette dernière pour témoigner une nouvelle fois de l’expérience des camps de concentration qu’elle a vécue dans sa chair en 1944-1945 et « transmettre encore l’indicible ». Comme actrice, Jeanne Moreau joue dans deux films du cinéaste israélien Amos Gitaï : Désengagement (2007), avec Juliette Binoche, en plein chaos de l’évacuation de la bande de Gaza, et Plus tard tu comprendras (2009), d’après le récit autobiographique de Jérôme Clément découvrant à quarante ans que sa mère était juive.
Dans d’autres films, plus légers, Jeanne Moreau semble essentiellement présente pour retrouver quelques anciens complices et prolonger le plaisir du jeu : avec Fanny Ardant et Nathalie Baye dans Visage, de Tsai Ming-liang (2009) ; avec Claudia Cardinale et Michael Lonsdale dans O Gebo e a sombra (Gebo et l’ombre, 2012), de Manoel de Oliveira… Enfin, et surtout, Jeanne Moreau ne s’interdit pas, octogénaire, des films plus risqués, jouant elle-même un personnage profondément déplaisant face à une jeune inconnue talentueuse comme Laine Mägi (Une Estonienne à Paris, d’Ilmar Raag, 2012)…
Jeanne Moreau meurt à Paris le 31 juillet 2017.
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Écrit par
- Joël MAGNY
: critique et historien de cinéma, chargé de cours à l'université de Paris-VIII, directeur de collection aux
Cahiers du cinéma
Classification
Médias
Autres références
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DAHO ÉTIENNE (1956- )
- Écrit par Encyclopædia Universalis et Sabrina SILAMO
- 1 106 mots
- 1 média
Au début des années 2010, Daho interprète en duo avec Jeanne MoreauLe Condamné à mort (2010),de Jean Genet. Il se consacre également à la réalisation de Places, le premier album de Lou Doillon, avant de publier Les Chansons de l'innocence retrouvée. Enregistré en 2013 dans les mythiques...