WALL JEFF (1946- )
Les photographies de Jeff Wall (artiste canadien né à Vancouver en 1946) présentées sur des caissons lumineux et qu'il dénomme Transparencies (Transparents), images éclairées de l'intérieur tels d'immenses Ektachromes pouvant atteindre jusqu'à 4 mètres de longueur, relèvent toutes, et cela depuis ses premières œuvres, qui datent de 1979, d'une « inquiétante étrangeté ». Qu'elles soient des scènes de rue ou d'intérieurs, des photographies d'enfants ou d'adultes saisis dans leurs actions quotidiennes, qu'elles montrent des marginaux ou des personnes intégrées socialement, ou encore des paysages urbains ou ruraux, toutes sont à la fois familières et inhabituelles, leur banalité dégageant simultanément une atmosphère fausse, irréelle, anormale. Images de la réalité dénuées de tout réalisme, images contemporaines qui renouent continuellement avec le passé, véritable théâtre des passions humaines, les œuvres de Wall dénoncent le réel en tant qu'il n'est plus que la fiction de lui-même.
Raconter le réel ?
Les deux grandes catégories qui permettent d'aborder la démarche de Jeff Wall – l'histoire des arts et la société contemporaine – convergent vers une problématique née au xixe siècle et que l'artiste fait sienne en la confrontant à notre actualité : comment être un peintre de la vie moderne ? Peut-on même s'investir du droit d'en présenter le spectacle ? C'est par rapport à cette question centrale que doivent se comprendre les références multiples – et souvent proposées simultanément dans une même œuvre – à la peinture, au cinéma, à la photographie, au théâtre, aux tableaux vivants, voire à la publicité, ainsi qu'aux graves problèmes qui se posent dans la société nord-américaine, tels que le racisme, l'attitude vis-à-vis des minorités ethniques, le chômage, la criminalité, ou encore les relations entre hommes et femmes ou entre adultes et enfants.
Pour traiter ces sujets, Jeff Wall n'a pas eu recours au genre du documentaire ou du reportage, mais à des fictions qui racontent le réel ; autrement dit, à des processus narratifs qui le recomposent, le transforment et lui donnent un autre statut. Jeff Wall qualifie d'ailleurs son travail de « presque documentaire ». L'image elle-même, aussi vraisemblable puisse-t-elle paraître dans la plupart des cas (Bad Goods, 1984 ; Diatribe, 1985 ; Untangling, 1994), est totalement fabriquée : les personnes que l'on voit, l'éclairage, les poses adoptées, les actions, les choses et les objets, tout est agencé par l'artiste de telle sorte que la réalisation des images s'apparente plus à un tournage de film qu'à une simple prise de vue photographique. Ce sont de vrais acteurs qui jouent à être des personnes en situation réelle, laquelle est retransposée, rejouée plutôt que rendue objectivement. Mais parfois les œuvres sont si volontairement artificielles que l'on se prend au jeu. Le personnage, la situation, le réel deviennent alors la vision objective d'un état de fait. En 1995, l'exposition présentée à la Galerie nationale du Jeu de Paume à Paris soulignait ces deux tendances avec des œuvres se donnant comme des escamotages de la réalité et des œuvres montrant la réalité comme escamotage. Sommes-nous les victimes d'une imposture sociale et existentielle ou la tromperie fait-elle partie intégrante de la réalité humaine ? Les manières de rendre compte de cette réalité, de la percevoir, mais aussi de la dire et de la communiquer, ont toujours intéressé Jeff Wall. Intervenir sur le rôle des images doit aller de pair avec une réflexion sur les narrations qui s'y rapportent, afin de mieux cerner la frontière qui sépare le factice de la vraie vie.
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Écrit par
- Jacinto LAGEIRA : professeur en esthétique à l'université de Paris-I-Panthéon-Sorbonne, critique d'art
Classification
Médias
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