WALL JEFF (1946- )
Un mentir vrai
Depuis 1996, après avoir produit essentiellement des travaux en couleurs depuis une vingtaine d'années, Jeff Wall a commencé une série de photographies en noir et blanc, ce qui accentue le « style documentaire » de son travail. Le noir et blanc étant généralement associé historiquement aux reportages, et à toute une tradition du documentaire sur le vif (Walker Evans, James Weeggee, Robert Capa), Jeff Wall brouille encore davantage les limites entre ce que le récepteur peut tenir pour véridique ou pour scénographié, comme cela était déjà le cas avec les caissons lumineux. On ne parvient pas véritablement à savoir si des scènes de rue, la nuit, telles que Cyclist (1996, collection particulière, Munich) ou Passerby (1996, Kunstmuseum, Wolfsburg), sont authentiques ou bien fabriquées. L'échelle des photographies (de trois à quatre mètres) peut être cependant un signe qui pointe vers la « fictionnalisation » de la scène, bien que, là aussi, les pratiques récentes de la photographie documentaire qui aime à agrandir ses sujets laissent subsister le doute. Citizen (1996, Kunstmuseum, Bâle), où l'on voit un homme allongé sur une pelouse et qui semble dormir, est-elle une prise de vue spontanée ou bien une minutieuse composition, comme on l'apprendra par les catalogues qui précisent que la réalisation de l'image a pris un mois. Le style documentaire du noir et blanc n'oblitère d'ailleurs pas l'éventuelle fiction narrative, si l'on songe que ces immenses photographies peuvent porter des références au genre du film noir. D'autant que Wall joue sur l'ambiguïté des images, de sorte que l'on ne sait pas aisément y discerner le moment angoissant d'un état parfaitement calme.
Ne délaissant pas les photographies couleur dans les séries de natures mortes ou de ce que l'on pourrait tenir pour des vanités contemporaines, Jeff Wall présente ainsi des portes de boutiques, des allées de jardin, des coins de mur, une sortie d'égout, toutes sortes d'images dont on se demande, là encore, si elles ne sont pas modifiées partiellement. Ainsi est-on bien étonné d'apprendre que Clipped Branches (1999, photo couleur, collection de l'artiste), un gros plan sur des branches déposées au pied d'un arbre, est bien une photographie documentaire. Dans le même temps, The Flooded Grave (1998-2000, Friedrich Christian Flick Collection), photographie couleur d'une tombe de cimetière inondée prise par un jour pluvieux, a été réalisée à partir de 75 prises de vue provenant de deux différents cimetières et retravaillée en partie en studio. Tout semble si réel et concret que cela ne peut qu'attester la véracité d'une image qui s'en trouve magnifiée, alors qu'elle n'est rendue plus vraie que par d'innombrables retouches et truquages. Ce qui intéresse ici avant tout Jeff Wall est bien un travail formel, et non la manipulation pour elle-même. La pratique de l'instantané ne permettrait pas de fabriquer littéralement les formes telles que les souhaite l'artiste. Lorsqu'il mêle documentaire et mise en scène dans Fieldwork (2003, collection de l'artiste), à partir de fouilles réelles menées par de véritables anthropologues, l'artiste prépare longuement sa composition photographique pour réaliser un travail plastique qui ne saurait être obtenu spontanément, mais qui, sans une certaine relation à ce qui se déroule hors de son intervention, n'aurait pas non plus cette qualité d'immédiateté.
Poursuivant ainsi par d'autres moyens certaines des problématiques antérieures, Jeff Wall fait se fondre progressivement le réalisme et l'imaginaire, l'invention et la restitution, le documentaire et la fiction, notions qui au gré des arts et des pratiques correspondent, se recoupent ou s'opposent sans que l'on parvienne à définir[...]
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Écrit par
- Jacinto LAGEIRA : professeur en esthétique à l'université de Paris-I-Panthéon-Sorbonne, critique d'art
Classification
Médias
Autres références
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