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TATA JEHANGIR RATANJI DADABHOY (1904-1993)

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L'histoire de Jehangir Ratanji Dadabhoy Tata, communément appelé J. R. D. Tata, se confond avec la saga de l'industrialisation indienne, elle-même largement constituée par celle du groupe familial dont “J. R. D.” tient les rênes de 1938 à sa mort.

Issus d'une longue lignée de prêtres zoroastriens, venus de Perse au xiie siècle, les Tata furent nombreux à jouer le rôle de conseillers politiques auprès de chefs locaux. Vers 1820, Nusserwanji Tata rompt la tradition et se lance dans les affaires. Son fils Jamsetji sera le premier véritable industriel du nom. Formé à l'anglaise dans les meilleures institutions de Bombay, il est l'Indien de sa génération qui a le plus voyagé dans le monde, celui qui s'est ouvert le plus systématiquement aux nouvelles techniques de production étrangères. Il collectionne les objets d'art, s'entoure des meilleurs techniciens, côtoie les barons américains de l'acier dont il est devenu l'égal en fondant le fleuron du groupe Tata, la Tisco (Tata Iron and Steel Company). Sans jamais se lier directement à quelque parti politique que ce soit, il épouse avec opportunisme les méandres de l'histoire. Le résultat est sans appel : à la mort de Jamsetji, en 1904, la maison Tata est devenue le premier trust industriel de l'Inde. Son tour venu, J. R. D. Tata saura prolonger et accroître cette riche expérience familiale.

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De mère française, éduqué en partie à Paris (lycée Janson-de-Sailly) et à Bombay (Bombay's Cathedral School), J. R. D. ne poursuit pas ses études à l'université mais se familiarise très tôt avec les activités du groupe dont il apparaît rapidement comme un futur dirigeant potentiel. Après avoir servi au Maroc dans un régiment français de spahis, il commence son apprentissage au sein de la Tisco. Une fois aux commandes, l'une de ses premières décisions sera de conférer aux directions des différentes compagnies et filiales du groupe une plus grande autonomie de décision. L'homme ne variera par la suite plus jamais de ligne : il préconisera toujours d'instaurer en Inde un capitalisme d'efficacité et de concurrence fondé sur la plus grande liberté d'entreprendre possible, dans le cadre d'une politique salariale et d'avantages divers, destinée à développer l'esprit maison parmi tous les salariés du groupe, de la base au sommet. Mélange à la fois de Henry Ford, de Louis Renault et de Marcel Dassault, passionné d'ailleurs comme ce dernier d'aviation au point de fonder avant même l'indépendance de son pays la première compagnie d'aviation indienne, J. R. D. Tata incarne aujourd'hui aux yeux de l'Inde le modèle d'économie libérale que celle-ci recherche depuis le milieu des années quatre-vingt. Au point que certains observateurs n'hésitent pas à le dépeindre comme l'“homme qui avait eu raison trop tôt”.

La réalité est plus complexe. Certes, les goûts personnels de J. R. D. Tata, son attirance pour l'aventure industrielle privée, son mode de vie occidentalisé, à l'image de la communauté parsi indienne, le conduisaient à critiquer le modèle socialisant de développement officiellement adopté par l'Inde de Nehru : c'était, à ses yeux, un frein à l'essor du pays. À partir de la fin des années cinquante, une partie du patronat indien, sous l'impulsion de Tata, décida d'ailleurs de soutenir de plus en plus ouvertement des candidats de droite hostiles à la politique du parti du Congrès, lors des différentes élections législatives. Le divorce avec le pouvoir ne fut jamais plus net qu'en 1969, lorsque Indira Gandhi décida de nationaliser le système bancaire pour contraindre une partie des capitaux, jusqu'alors privés, à se tourner vers l'investissement rural et vers les petites et moyennes entreprises, deux secteurs d'activité jugés non rentables par les grands milieux d'affaires. Mais force est également de constater que les analyses de Tata ne rallièrent pas, loin s'en faut, toute la communauté industrielle de l'Inde. La raison profonde de ce divorce est sans doute à rechercher dans la nature même des activités du groupe Tata. Celui-ci, en vérité, est, depuis plusieurs décennies, le groupe industriel le plus développé de l'Inde, celui dont le devenir dépend le moins du soutien de la politique étatique. Il n'en va pas de même d'autres trusts qui ont besoin, pour survivre, d'un seuil minimal d'intervention publique, ne serait-ce que pour protéger le marché intérieur indien d'une concurrence étrangère débridée. En 1944, J. R. D. Tata lui-même n'inscrivit-il pas sa réflexion dans ce cadre, en parrainant la première proposition sérieuse de planification industrielle de l'histoire indienne (connue sous le nom de “plan de Bombay”) et en insistant sur la nécessité d'injecter dans l'économie une certaine dose de capitaux publics, destinés à épauler l'essor du capital privé et à garantir le “décollage” économique national ? Mais on dira sans doute que l'Inde et le monde ont beaucoup changé depuis lors et que le groupe Tata, sous l'impulsion de son patriarche, a su plus que d'autres consolider ses acquis passés pour affronter la compétition acharnée qui s'installe désormais en Asie du Sud.

— Max ZINS

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Écrit par

  • : docteur d'État ès sciences politiques, chargé de recherches au C.N.R.S. (Centre d'études et de recherches internationales)

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  • TATA RATAN (1937-2024)

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    ...qu'ils diversifient dans l'acier : un succès majeur capable de transformer la ville de Jamshedpur en Tatanagar (ou Tataville), une véritable Ruhr indienne. C'est toutefois le fils de Ratanji, Jehangir Ratanji Dadabhai Tata (1904-1993), surnommé JRD, qui décuple la croissance de ce groupe et pousse très loin...

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