AUBRY JENNY (1903-1987)
Pionnier de la psychanalyse en France, Jenny Aubry appartenait à une famille de la grande bourgeoisie parisienne. Par sa mère, elle était la petite-fille d'Émile Javal, un ophtalmologue démocrate, ami de Zola, qui sympathisa avec la Commune de Paris et inventa une méthode de lecture pour les aveugles. La sœur de Jenny, Louise Weiss, fut une célèbre suffragette. Poussée par sa mère, elle s'oriente vers des études médicales : neurologie et psychiatrie. Elle a pour maîtres Clovis Vincent, lui-même élève de Joseph Babinski, puis Georges Heuyer, l'un des premiers patrons de médecine à accueillir la psychanalyse dans son service. C'est là que Jenny côtoie Sophie Morgenstein. À la veille de la guerre, elle est nommée médecin des hôpitaux, devenant ainsi la deuxième femme de France à obtenir ce titre.
Pendant l'Occupation, elle participe à des activités de résistance tout en conservant ses fonctions hospitalières. En 1948, elle s'oriente vers la psychanalyse après une rencontre décisive avec Anna Freud. Son cursus est classique : formation didactique sur le divan de Sacha Nacht, contrôle chez Jacques Lacan, avec lequel elle entretient bientôt d'excellentes relations amicales. Il l'appelle « la vaillante » et souligne qu'elle a le génie de l'orientation. En 1964, après deux scissions du mouvement psychanalytique français, elle l'accompagne dans la fondation de l'École freudienne de Paris. Femme d'action plus que théoricienne, elle savait à la fois diriger une équipe, aimer ou commander, tout en respectant l'altérité de chacun, au gré d'une écoute chaleureuse et dynamique. L'expérience qu'elle a menée en 1946 à la Fondation Parent-de-Rosan est devenue légendaire. Il s'agissait à la fois de prouver l'origine psychique des carences affectives chez les enfants sans famille de l'Assistance publique et de tenter d'y remédier par la psychanalyse. De ce combat de Jenny Aubry contre la détresse et l'abandon nous reste son ouvrage, qui, avec les travaux de René Spitz sur l'hospitalisme, compte parmi les classiques : La Carence de soins maternels, publié pour la première fois en 1953.
La suite de cet article est accessible aux abonnés
- Des contenus variés, complets et fiables
- Accessible sur tous les écrans
- Pas de publicité
Déjà abonné ? Se connecter
Écrit par
- Élisabeth ROUDINESCO : directeur de recherche à l'université de Paris-VII, vice-présidente de la Société internationale d'histoire de la psychiatrie et de la psychanalyse
Classification