BOSCH JÉRÔME (1450-1460 env.-1516)
L'œuvre de Bosch, qui fut ensevelie pendant trois siècles, occupe en notre esprit une place majeure. Elle a donné lieu aux sentiments les plus contraires, et parfois simultanément. On la tint pour l'expression même du Moyen Âge ; mais elle est contemporaine de Vinci. Elle passa pour plaisante et profonde, réaliste et extravagante, édifiante et licencieuse, orthodoxe et hérétique, capricieuse et concertée, débridée et méthodique. Archives, documents, témoignages se réduisent à presque rien. Délice, énigme ? Pour l'essentiel, c'est l'œuvre seule et nue qui se propose à nous. Délice nourri de douleurs, énigme lumineuse.
Pour vifs que soient ses attraits immédiats, cette œuvre, par l'étonnement dont elle nous saisit, nous oblige à lui découvrir un sens. Mais vouloir déchiffrer cet univers comme s'il s'agissait d'un délire ou d'un songe – reflet d'un siècle ou d'un esprit que torture l'angoisse, ou le désir – ce serait nier qu'un dessein volontaire l'anime. Ce dessein est indéniable ; mais il est presque toujours marqué du sceau de l'hermétisme. Autre difficulté : les symboles et les formes qui s'entrelacent dans l'œuvre procèdent de sources très diverses. On ne lui trouvera pourtant un sens que si l'on se refuse à voir en elle une collection hétéroclite de signes figés : les signes qu'il adopte, Bosch les a unifiés et recréés en une synthèse tout à la fois traditionnelle et singulière, et cela sur le plan spirituel comme sur celui de l'art.
Si l'on excepte de rares inscriptions, et si l'on tient pour apocryphes les titres, cette somme d'images compose un mutus liber dont les planches nous seraient offertes en désordre. On examinera donc une à une ses unités élémentaires – les tableaux – et l'on organisera leur ensemble par sujets et par genres. L'iconographie peut éclairer du dehors les thèmes de l'œuvre ; elle ne saurait en dire l'agencement et le sens : c'est à la seule intuition thématique qu'il revient de proposer un fil d'Ariane. Cette intuition échappe à la pure subjectivité : elle trouve en effet à s'instruire par la fréquentation des œuvres mystiques dont Bosch fut sans doute familier, notamment celle de Ruysbroek. Mais la plus juste interprétation n'épuiserait pas l'œuvre : il faut saisir ensemble les savoirs d'un esprit et les saveurs de la peinture.
Espace temporel et spirituel
Le siècle de Bosch, c'est ce « déclin du Moyen Âge » évoqué par Huizinga dans un livre célèbre. Pour l'histoire : sac de Gand en 1468, révoltes, massacres, représailles, pillages, brigandages, pestes, misère, famines, querelles de villes, guerre des Gueux, tortures publiques. Pour la foi : obsession du démon, supplices de magiciens, sermons d'apocalypse. Alain de la Roche, prédicateur aux visions pleines de bêtes de luxure et de feu, meurt à Zwolle en 1475. L'un des deux auteurs du Malleus maleficarum (Pour écraser les sorcières) fut de ses disciples. Tout cela ne semble-t-il pas composer, pour le peintre d'une œuvre aux formes et aux reflets d'enfer, l'espace même de son inspiration ? Mais les horreurs quotidiennes – qui sont de tous les siècles – et celles qui entrent dans la composition d'une œuvre sont rarement de même essence. Si l'on inventorie tout ce dont celle de Bosch a pu se nourrir, les misères du temps demeurent à l'horizon de la conscience du peintre, et les sources de l'imaginaire s'offrent plus légitimement à l'examen.
Les sources de l'imaginaire
Comme il connaît les ars moriendi – ces gravures du savoir-mourir –, les clefs des songes et le Tarot, les traités d'alchimie et ceux d'astrologie, Bosch a lu les ouvrages des mystiques, La Nef des fous de Brant, La Légende[...]
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Écrit par
- Claude-Henri ROCQUET : diplômé d'études supérieures de lettres
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