BOSCH JÉRÔME (1450-1460 env.-1516)
Le dessein de Bosch
S'il ne dort pas, l'esprit erre, chemine, et cherche à méditer, c'est-à-dire à contempler. L'œuvre du philosophe et du mystique se propose au passant comme une architecture spirituelle : connaissance des principes du monde, connaissance de soi. Et cette demeure cristalline, qu'est-ce d'autre que l'ouvrage et comme la forme d'un regard longtemps laborieux, sa pure et définitive épiphanie ? Ainsi le regard chrétien s'élève-t-il du spectacle naturel et quotidien du monde jusqu'à l'intelligible et au surnaturel, par une suite de dévoilements, de révélations. Ce regard n'est jamais purement profane ; et, religieux, il est d'abord celui de l'imagination éclairée par la foi et les Livres, pour devenir celui de l'expérience intérieure. Il entre alors dans une « nuit obscure », traversée d'épreuves et de tentations ; cette nuit s'achève en apaisement, en délivrance, et en joie. Vie purgative, vie illuminative, vie unitive : ces étapes, décrites par saint Bonaventure, sont traditionnelles.
L'école spirituelle de Ruysbroek colore cette tradition d'une dévotion qui lui est propre. L'âme, qui s'est d'abord dépouillée de ses convoitises terrestres, prend pour premier objet de sa méditation l'humanité du Christ, et principalement sa Passion. « Ne peut aboutir à goûter la présence de Dieu que celui qui, d'abord, a pratiqué l'aimante dévotion aux Plaies et au Côté sacré de Notre Seigneur ; oui, à toute son humanité sensible et visible. C'est ensuite que nous gravirons une marche plus élevée et plus cachée, intérieure et spirituelle, jusqu'à l'intérieur de Jésus dont nous assimilerons les pensées et les sentiments », écrit un disciple de Ruysbroek. Pour passer de l'étape illuminative à l'étape unitive, l'âme doit connaître les affres et les angoisses, les ténèbres d'un « souterrain » : « angustiae infernales, intolerabiles et incredibiles ». Au-delà de ces épreuves et de ces tentations, l'âme s'unit à Dieu. La mystique de Ruysbroek a pu être définie comme « le couronnement de la théorie du Retour ».
Dans la mystique chrétienne, la part donnée à la représentation visuelle est particulièrement importante : Dieu s'est fait homme. C'est ainsi que l'expérience mystique se présente comme une suite de « regards » qui vont s'élevant et s'épurant jusqu'à l'Invisible. Ces « regards », sur un autre plan, peuvent être ceux du peintre religieux. De fait, la structure de la spiritualité de Groenendaal donne à l'œuvre éparse de Bosch un ordre tel que chacune de ses peintures y trouve sa place et son sens. Cet ordre est, par nature, indifférent à l'ordre chronologique des tableaux. Il est toutefois remarquable que la chronologie la plus vraisemblable de l'œuvre s'accorde, en gros, avec les étapes du cheminement mystique : comme si se trouvaient liées en Bosch l'expérience intérieure et la peinture. Bosch, sans doute, n'est pas un autre Ruysbroek qui exprimerait par la peinture ce qu'il a « vu ». Mais on peut croire que la peinture fut pour lui le moyen de méditer les yeux ouverts et par l'élaboration d'images matérielles – ce que fait, les yeux fermés et en esprit, le pur spirituel.
Structure de l'œuvre
Viennent d'abord, dans cette « suite de regards » qu'est l'œuvre de Bosch :
1. Les regards sur le monde : a) L'Escamoteur (Saint-Germain-en-Laye) est une sorte d'introduction à un groupe d'œuvres d'inspiration populaire qui, à son tour, introduit à la méditation religieuse et mystique. b) Ces œuvres « populaires », ce sont principalement l'Excision de la pierre de folie (Prado), La Nef des fous (Louvre),[...]
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Écrit par
- Claude-Henri ROCQUET : diplômé d'études supérieures de lettres
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Médias
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