CARDAN JÉRÔME (1501-1576)
De l'algèbre à l'astrologie
« Médecin milanais », comme il aime à se désigner lui-même sur la page de titre de ses œuvres imprimées, Cardan s'est pourtant assuré la réputation la plus durable dans le domaine des mathématiques, et notamment de l'algèbre. En 1539, il publie à Milan un ouvrage d'arithmétique, la Practica arithmeticè et mensurandi singularis (réimprimé à Nuremberg). Mais c'est surtout en 1545, avec son Ars magna (sive de regulis algebraicis liber unus), où il expose le procédé de résolution des équations du troisième degré, ainsi que celui de la résolution de l'équation du quatrième degré, qu'il se hausse au niveau des plus grands algébristes, en dépit des accusations de plagiat et de trahison portées contre lui par le mathématicien vénitien Tartaglia (qui lui aurait communiqué dès 1539, sous le sceau du secret, sa méthode de résolution des équations du troisième degré). Son Liber de ludo aleae (publié après sa mort) présente, d'autre part, le premier exposé systématique du calcul des probabilités, un siècle avant Pascal et Fermat.
Mais c'est sur deux autres ouvrages, où le meilleur côtoie le pire, que s'est assise la réputation scientifique et philosophique de Cardan : le De subtilitate, commencé en 1536 et publié en 1550 à Nuremberg, et le De rerum varietate, publié à Bâle en 1557. Le premier, qui comporte vingt et un livres, est une sorte d' encyclopédie universelle des sciences naturelles et des inventions, qui traite de presque tous les sujets possibles (de la cosmologie à la construction des machines, des lois de la mécanique à la cryptologie, de l'utilité des sciences de la nature à l'influence des démons) et qui fait de l'Univers un immense corps vivant. L'immortalité de l'âme y est envisagée selon une conception très générale – et peu chrétienne – des rapports entre l'âme et le corps, où se trouvent mêlés confusément des courants très divers : aristotélicien, stoïcien, néo-platonicien, averroïste. On retiendra pourtant de cette vaste encyclopédie quelques idées importantes : sur la diversité des œuvres de la nature, l'existence d'une sorte de jeu raisonné de cette dernière, la « magie naturelle », les monstres et prodiges, réintégrés dans une organisation intelligible de l'Univers, la réduction des quatre éléments à trois (air, terre, eau, le feu étant considéré comme un mode d'existence de la matière) et des quatre qualités à deux (le chaud et l'humide), une conception originale du mouvement, intermédiaire entre la théorie de l'impetus et celle des partisans d'Aristote concernant la poussée de l'air.
Le second ouvrage (dix-sept livres), qui reprend en les complétant des descriptions et des analyses du premier, a pour dessein manifeste de relier à « un principe unique, indivisible et absolument simple » l'infinie diversité des choses humaines et divines, des phénomènes naturels, des genres et des espèces qui peuplent la mer, le ciel et la terre (y compris ses entrailles). C'est par le recours constant à l'analogie, véritable instrument de découverte et modalité du raisonnement, que Cardan parvient à maintenir l'unité du tout, en sauvegardant en même temps la distinction de ses parties. Fondant sa compréhension de l'Univers sur le schéma traditionnel du microcosme et du macrocosme, il fait de l'homme le témoin, voire l'agent de la cohésion intime des parties du cosmos animé, l'Univers étant le garant de la diversité et de l'union des parties ou des organes qui le constituent. Dans ce système d'équilibre et d'analogie, les astres jouent un rôle capital ; et les préoccupations du médecin, du psychologue, du moraliste et du sociologue trouvent dans l'astrologie de tradition ptoléméenne un inépuisable aliment.[...]
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Écrit par
- Jean-Claude MARGOLIN : professeur de philosophie à l'université de Tours, directeur du département de philosophie et histoire de l'humanisme au Centre d'études supérieures de la Renaissance, Tours
Classification
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