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SALINGER JEROME DAVID (1919-2010)

J. D. Salinger - crédits : Bettmann/ Getty Images

J. D. Salinger

Le silence de Salinger signe sa cohérence ultime : écrire pour le plaisir, écrire pour soi seul – des romans, des cahiers – sans publier, sans accorder d'entretien, sans sacrifier sa vie aux jeux du monde. Tel est le paradoxe de cet écrivain immensément populaire, qui a fait le pari qu'une poignée de personnages – Holden Caulfield, Esmé, Zooey, Seymour ou Daumier-Smith – défendrait à jamais son humour et ses tyrannies. Un demi-siècle de silence, depuis sa dernière publication en 1965 jusqu'à sa mort sur une colline boisée de Cornish dans le New Hampshire, le 27 janvier 2010. Misanthrope et ascète, chicaneau à ses heures, Salinger s'est voulu auteur énigmatique, malgré la divulgation de lettres intimes et la parution, en 1998 et en 2000, de deux livres dévoilant sa vie privée ou, comme il se décrit lui-même, « un homme dans ce monde mais pas de ce monde. »

C'est à New York, le 1er janvier 1919, que naît Jerome David Salinger. Dans un bel appartement de Manhattan donnant sur Park Avenue, une mère d'ascendance écossaise, un père juif polonais, importateur fortuné de fromage casher : deux excellents cicérones pour un voyage en Europe lorsqu'il quitte le lycée. Après l'académie militaire de Valley Forge en Pennsylvanie, il entame des études universitaires à Columbia, dans l'atelier d'écriture du rédacteur du magazine Story qui publie sa première nouvelle en 1940 (The Young Folks), avant qu'il soit mobilisé dans le 12e régiment d'infanterie. Ensuite, de manière sporadique, ses nouvelles paraissent dans le Saturday Evening Post, Esquire, Harper's Magazine, et touchent d'emblée un public assez large. Mais c'est grâce au New Yorker en 1947 qu'il remporte un énorme succès avec Un jour rêvé pour le poisson-banane, première du recueil Neuf Nouvelles (1953). Un texte dont le titre a un charme accrocheur, dont le ton illustre l'art des ruptures et des mystères. La nouvelle s'ouvre par une conversation téléphonique, séquence où excelle Salinger, qui fait jongler répétitions, non-dits, rythmes, coupures et saccades, avec en contrepoint la plage, la petite Sybil qui joue et nage avec Seymour à la poursuite de leur chimère, le poisson-banane. Tout est là : l'enfant, l'angoisse à fleur de peau, une poésie légère.

La guerre ? Elle existe en filigrane, à travers de simples allusions – Seymour lisait des poèmes en Allemagne et laisse son carnet intime de pilote, Esmé rencontre un soldat américain dans un salon de thé. Alors que Salinger a servi dans le contre-espionnage de 1942 à 1946 et a débarqué en Normandie à Utah Beach le 6 juin 1944, qu'il aime l'uniforme et roule en Jeep toute sa vie, il préfère réinventer l'adolescence au travers de ses nouvelles et de son roman L'Attrape-cœurs (The Catcher in the Rye), dédié à sa mère, qui paraît à Boston en 1951. Franny et Zooey, « film dramatique en prose », fait la couverture du magazine Time en septembre 1961 avant même sa parution triomphale ; le savoureux Dressez haut la poutre maîtresse, charpentiers suivi de Seymour, une introduction sort en 1963 ; Hepworth 16, 1924, nouvelle épistolaire, clôt le tout en 1965. C'est l'ovation et Salinger devient l'idole des jeunes et des classes libérales aisées. L'impertinence, les formules à l'emporte-pièce, un rythme à saute-mouton séduisent : le succès ne se dément pas puisque L'Attrape-cœurs se vend aujourd'hui au rythme de 250 000 exemplaires par an. Voilà qui assure, dès 1953, à Salinger la possibilité de faire retraite dans l'isolement et la spiritualité, entre bouddhisme zen et hindouisme vedanta, dans « une paix merveilleuse ».

Les écrivains ont souvent eu la dent dure avec Salinger : « Dostoïevski pour jardin d'enfants » (Norman Mailer), « artifice de ventriloque[...]

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