LINDON JÉRÔME (1925-2001)
Né le 9 juin 1925, à Paris, dans une famille de la haute bourgeoisie juive, apparentée aux Dreyfus et aux Citroën, Jérôme Lindon voit son adolescence perturbée par la Seconde Guerre mondiale. À dix-sept ans, affilié au mouvement de résistance Combat, il rejoint un maquis du Tarn, est décoré pour faits d'armes, puis intègre les troupes françaises d'occupation en Allemagne. De cette guerre, Jérôme Lindon conservera l'empreinte toute sa vie. Ayant commencé l'apprentissage de l'hébreu au maquis, il envisage, un moment, à la Libération, de se lancer avec un ami dans une nouvelle traduction de l'Ancien Testament : de ce projet ambitieux reste une trace, la traduction du Livre de Jonas qu'il publie à 343 exemplaires aux éditions de Minuit en 1955, un texte capital qui est aussi une réflexion sur le „bon usage de la trahison“, pour reprendre le titre de la Préface de Pierre Vidal-Naquet à La Guerre des Juifs de Flavius Josèphe (Minuit, 1977).
Jérôme Lindon dirige les éditions de Minuit à partir de 1948. Il publie des auteurs dont aucun autre éditeur ne voulait, ces „refusés-Gallimard“ qui avaient pour nom Bataille, Blanchot, Klossowski, jusqu'à ce jour de 1951 où, en lisant un manuscrit, Molloy de Samuel Beckett, il a enfin la chance de pouvoir publier l'intégralité d'une œuvre, de rencontrer celui qui allait être le „premier“ auteur Minuit et l'auteur-phare de sa maison. Suivront Alain Robbe-Grillet (1953), Michel Butor (1954), Robert Pinget (1956), Claude Simon (1957), Marguerite Duras (1958), et, passagèrement, Nathalie Sarraute (1957). Ces auteurs sont rassemblés, en 1957, sous la bannière du nouveau roman, l'année même où Jérôme Lindon se lance dans la dénonciation de la torture pratiquée par l'armée française lors de la guerre d'Algérie. Il publie Moderato Cantabile de Marguerite Duras en janvier 1958 ; La Question d'Henri Alleg, le mois suivant : si Jérôme Lindon n'a pas fondé les éditions de Minuit, nées dans la Résistance en 1942, il les re-fonde en 1958 en promouvant un modèle éditorial à deux branches où la littérature pure coexiste avec des textes politiques engagés. Ayant l'idée de réunir, en septembre 1960, les signatures des auteurs du nouveau roman au bas du manifeste des intellectuels contre la guerre d'Algérie, le „Droit à l'insoumission dans la guerre d'Algérie“ dit „Manifeste des 121“, Jérôme Lindon déclasse définitivement le modèle sartrien de la „littérature engagée“ qui domine les lettres françaises depuis 1945. Qu'est-ce qu'un auteur-Minuit ? Un écrivain préoccupé de son art doublé d'un citoyen concerné par son époque, et non pas, comme le pensait Sartre, un homme qui traite, à travers sa littérature, des problèmes de son temps.
„Littérature oblige“, ce pourrait somme toute être la devise de Jérôme Lindon qui s'est toujours senti tenu de défendre la liberté, la sienne en tant qu'éditeur et celle des autres, au nom des écrivains qu'il avait la „chance“ de publier. L'année même où Samuel Beckett obtient le prix Nobel de littérature, en 1969 donc, Jérôme Lindon se lance dans le combat politique en faveur des Palestiniens en publiant Pour les Fidayine de Jacques Vergès, une ligne politique jamais remise en question comme l'atteste la présence à son catalogue des poèmes de Mahmoud Darwish ou de La Revue d'études palestiniennes que les éditions de Minuit publient depuis 1981. On aurait tort de voir dans ses derniers grands combats – le prix unique du livre en 1981, ou la défense du droit d'auteur – un repli frileux sur des enjeux corporatistes. Jérôme Lindon défendait ainsi ce „droit à la création“, qu'il s'était toujours efforcé de soutenir dans le cadre de sa maison d'édition.
Au milieu des années[...]
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Écrit par
- Anne SIMONIN : chargée de recherche au C.N.R.S., université de Caen
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