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SAVONAROLE JÉRÔME (1452-1498)

Savonarole, qui a divisé ses contemporains, est resté un objet de controverse pour les historiens. Pour les hommes de la fin du Quattrocento, ce fut ou bien un saint et un martyr, ou bien un révolutionnaire exalté, ou bien un fabulateur, voire l'Antéchrist. Pour les historiens modernes, qui s'efforcent de discerner mystique, politique et pathologie, le prieur de San Marco de Florence est un agitateur à l'esprit mal équilibré, un rebelle porté par la haine, un saint homme aux outrances sincères, un réformateur dans la lignée de Nicolas de Clamanges et de saint Vincent Ferrier, un prédécesseur de Luther. Il a donné pour un temps de nouvelles justifications à l'orgueil florentin, mais il a fait passer sur Florence un vent de folie. Son dessein forme un tout, et l'on ne peut cependant juger de la même manière l'homme qui reproche au pape Borgia son inconduite et celui qui contraint les artistes à brûler de leur propre main des œuvres insuffisamment dévotes. Probablement sincère et faux prophète par souci d'efficacité, thomiste en même temps que mystique, l'homme est en réalité divers. Pendant les huit ans que dure sa vie publique, son exaltation ne fait que croître, et il y a loin de l'ami des humanistes au contempteur de la pensée néo-platonicienne. L'histoire ne peut juger. Tout au plus essaie-t-elle de comprendre.

La prédication

Un esprit ardent, un réformateur inspiré qui intervient aussi bien dans les affaires de l'Église que dans celles des princes ou dans la vie quotidienne de ses pénitents, tel apparaît aux Florentins le dominicain Girolamo Savonarola lorsque, vers 1489, sa réputation de prédicateur visionnaire s'étend hors du couvent San Marco, dont il devient le prieur en 1491. Né à Ferrare dans une famille de médecins, il est entré au couvent, après de solides études médicales et humanistes, par haine d'un monde corrompu et par désir de purification. Ami et confident, parfois confesseur, de certains humanistes, parmi lesquels Pic de La Mirandole et Laurent le Magnifique lui-même, il accommode d'abord le néo-platonisme des milieux académiques à son aspiration à la rigueur sociale et religieuse. Les deux concourent à la même foi, à la même morale et à la même eschatologie. Il prêche contre une société dégénérée qui recherche le profit, le luxe et la gloire. Il dénonce les dépravations dont souffre l'Église. Dans le style des grands prophètes qui prédisaient la punition d'Israël, il inaugure une série de prophéties parmi lesquelles il est bien difficile de démêler la part de sincérité (incontestable) et la part d'imposture. Il prédit à l'Église la prochaine élection d'un pape simoniaque. En 1492, Alexandre VI Borgia monte sur le trône pontifical après avoir notoirement acheté des voix cardinales : c'est là la confirmation des dires du prieur de San Marco.

La cour pontificale s'émeut devant les attaques de plus en plus vives du dominicain. Certes, sa doctrine est relativement sûre, et nul ne le prend en défaut. Formé au thomisme le plus rigoureux, puisant dans la Bible les thèmes, les exemples et les symboles dont il use de la manière la plus traditionnelle, Savonarole évite soigneusement l'hérésie. Il se présente d'abord en fils soumis de l'Église, et il affirme l'autorité du pape. Mais les conciles réformateurs insurgés contre les papes ont, d'autre part, à Constance comme à Bâle, posé en principe la supériorité du concile général, c'est-à-dire de l'Église en corps. Celle-ci peut juger et déposer le pontife romain, s'il cesse d'obéir aux ordres de Dieu. Reste à savoir ce que sont les ordres de Dieu et à fonder un tel jugement.

Or Savonarole prophétise de plus en plus, souvent à bon compte, parfois de manière étonnante. Ainsi a-t-il, dès le début de sa vie publique,[...]

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Écrit par

  • : membre de l'Institut, directeur général des Archives de France

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