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SAVONAROLE JÉRÔME (1452-1498)

La crise

Le fond même de la pensée du nouveau maître de Florence n'a rien de scandaleux. Mais ses outrances de langage écartent de lui les plus sages, cependant que ses propos et ses actes constituent un danger pour les puissances en place. La société n'est guère portée à suivre les voies du puritanisme mystique au-delà de cette période de tension que soutient la prédication de Savonarole. Quant à la commune, sa politique procure au dominicain plus d'ennemis que d'admirateurs.

Le pape ne peut demeurer sans réagir contre une menace de déposition. Après avoir vainement convoqué Savonarole, puis tenté de négocier un compromis, enfin lancé une excommunication (12 mai 1497), il s'en prend à la ville dont le soutien permet au rebelle de continuer à célébrer la messe et à prêcher de plus en plus violemment contre Alexandre VI et ses familiers, taxés de simonie et dépeints comme « immoraux » et probablement « athées ». C'est ce que d'autres pensaient sans oser le dire, et Charles VIII avait un temps songé à déposer le Borgia et à le traduire devant un concile. Mais le tort de Savonarole est de mêler à des critiques fondées bien des arguments douteux, et de compromettre Florence dont les intérêts sont trop liés à l'alliance pontificale. Le 26 février 1498, Alexandre VI menace la ville d'interdit et exige qu'on lui remette le coupable. Malgré la réplique immédiate de Savonarole, qui en appelle au concile général à venir, les Florentins s'interrogent.

Les âmes simples hésitent devant une rupture avec l'Église hiérarchique. Les banquiers savent ce que, cent vingt-cinq ans plus tôt, une brouille avec le pape a pu coûter à leurs prédécesseurs. Les villes que Florence a mis deux siècles à soumettre se révoltent contre sa domination politique et économique en parant de scrupules religieux leur volonté d'émancipation. Même ceux qui profitent des réformes politiques inspirées par Savonarole comprennent qu'ils ne sauveront ces réformes qu'en sacrifiant les vues religieuses et morales du prieur de San Marco. Pour éviter que les excès démagogiques ne conduisent à une réaction et à un retour des Médicis, il faut stabiliser l'œuvre accomplie, alors que le dessein de Savonarole formait un tout et que la logique même de sa prédication ne peut s'accommoder d'un fléchissement.

Les franciscains s'étaient peu manifestés lorsque le prieur dominicain était suivi de tous. Les prédications révolutionnaires des carêmes de 1496 et 1497 les incitent à sortir de l'ombre et à guetter les imprudences d'un rival trop écouté qui les inquiète. S'en prenant à un messianisme qui peut passer pour sacrilège, les franciscains profitent donc du trouble des esprits pour exprimer, pendant le carême de 1498, des doutes sur l'orthodoxie du dominicain. Le franciscain Francesco da Puglia s'offre même à subir, avec Savonarole ou son « champion », le jugement de Dieu représenté par l'épreuve du feu. Malgré le pape, les Florentins organisent l'épreuve le 7 avril, veille des Rameaux, mais Domenico da Peschia, représentant de Savonarole, s'y dérobe.

Bien qu'en apparence l'incident soit mineur, le mécontentement explose. D'abord condamné au bannissement, puis arrêté à la suite d'un mouvement populaire, Savonarole est déféré à l'Inquisition.

Le procès s'ouvrit le 19 mai, présidé par le maître général des Dominicains et un nonce apostolique. Torturé, Savonarole avait avoué tout ce qu'on avait voulu, y compris la supercherie de ses prophéties dont quelques-unes, cependant, s'étaient déjà réalisées. Le 23 mai, avec deux disciples, dont Domenico da Peschia, il était condamné à mort. On les pendit sur-le-champ ; leurs corps furent brûlés en public et leurs cendres jetées dans l'Arno.[...]

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Écrit par

  • : membre de l'Institut, directeur général des Archives de France

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