JÉRÔME saint (347 env.-419/20)
Savant et moine à Bethléem
Par Chypre et Antioche – escales qui lui donnent de renouer avec les évêques suivis à Rome en 382 –, il gagne Jérusalem, où il retrouve Rufin d'Aquilée, un condisciple et ami intime de naguère, qui y avait fondé et y dirigeait avec la Romaine Mélanie deux couvents latins. Jérôme, qu'avait rejoint Paula, finit par faire de même, mais à Bethléem. Entre autres charges (direction des moines, gestion d'une hôtellerie pour les pèlerins, instruction d'enfants – dans une sorte d'école monastique ?...), il y poursuit, infatigable, ses travaux d'écrivain, à la requête et avec le soutien d'amis d'Italie. Il continue d'entretenir une vaste correspondance (près de cent vingt lettres subsisteront de lui, allant du simple billet jusqu'à d'amples traités). Pionnier, à cet égard, parmi les Latins, il dresse en cent trente-cinq notices, sous un titre repris de Suétone (Des hommes illustres), le bilan de quatre siècles de littérature chrétienne (s'inspirant d'Eusèbe pour les auteurs grecs). D' Origène, il traduit de nouvelles homélies, et il l'exploite abondamment, avec d'autres Pères grecs, pour commenter saint Paul, l'Ecclésiaste, plus tard tout le corpus des Prophètes, ainsi que saint Matthieu. Il se remet aussi à réviser sur le grec la Bible latine. Mais les Hexaples d'Origène (donnant en parallèle sur six colonnes les diverses versions de l'Ancien Testament), qu'il consulte dans cette intention à la riche bibliothèque de Césarée, vont raviver son intérêt pour l'hébreu et donner corps à l'audacieux projet d'une nouvelle traduction de l'Ancien Testament conforme à l'authenticité de la langue originale. Cet idéal de la veritas hebraica visait moins à disqualifier l'ancienne Vulgate qu'à permettre aux chrétiens de défendre face aux juifs les titres messianiques du Christ. Mené sur quelque quinze années, cet immense travail se heurtera à beaucoup de défiance : Jérôme ne cesse de se justifier contre ceux (et non des moindres : Rufin, Augustin...) qui y voyaient plutôt une dangereuse concession faite aux juifs (reconnus détenteurs d'une vérité du texte) et une troublante innovation (risquant de discréditer la version traditionnelle aux yeux du peuple chrétien).
Progressiste sur ce plan, Jérôme défend simultanément des positions conservatrices sur d'autres fronts. Champion de l' ascétisme chrétien, il avait, en 383, réfuté Helvidius, qui niait la virginité perpétuelle de Marie. Dix ans plus tard, au laxisme de Jovinien, qui, à Rome toujours, avait en somme pris le relais en rabaissant les mérites du célibat et du jeûne, Jérôme opposa, de Bethléem, un rigorisme à tous crins (qui d'ailleurs fit scandale). En deux livres pétris de rhétorique et bourrés de références tant païennes (Sénèque, Pline, et même l'« impie » Porphyre étaient enrôlés) que chrétiennes, il entendait balayer la « vomissure » adverse, donnant la pleine mesure d'un talent de polémiste digne de la grande tradition satirique latine. Et quand, plus tard, Vigilance s'en prendra au culte des martyrs et à tels usages monastiques, il se verra à son tour éreinter rudement. Autrement redoutable, la longue controverse dite « origéniste » (393-402) allait opposer Jérôme, en Palestine et à Rome, à des adversaires (Jean et Rufin) de bien plus grande envergure. Depuis longtemps grand admirateur d'Origène – cet exégète alexandrin du iiie siècle, qu'il avait appris à apprécier en Orient à l'école de Grégoire de Nazianze et de Didyme et qu'il avait vu exploiter par des prédécesseurs occidentaux comme Victorin, Hilaire, Ambroise –, Jérôme l'avait, à Antioche, à Constantinople, à Rome, non seulement traduit, mais loué sans restriction. À Bethléem, ses travaux bibliques[...]
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Écrit par
- Pierre LARDET : maître assistant à l'université de Genève
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