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GROTOWSKI JERZY (1933-1999)

Les spectacles

Quand Grotowski passe en 1965 à Wroclaw, la capitale de la Basse-Silésie, où son théâtre reçoit le statut d'Institut de recherches sur le jeu de l'acteur, il a élaboré déjà avec sa troupe neuf spectacles ou ébauches de spectacles, dont quatre puisent leur inspiration chez les classiques polonais, romantiques en fait, du xixe siècle ou du début du xxe, Mickiewicz (Les Aïeux), Wyspiański (Akropolis), Słowacki (Kordian). Le Prince constant d'après Calderón adapté par Słowacki, travaillé essentiellement à Wroclaw. Là aussi est élaboré Apocalypsis cum figuris. « D'après » : ces précurseurs se livraient déjà à une transgression par le traitement du texte considéré comme un matériau et par le montage, qui est la marque du metteur en scène.

Grotowski se veut artisan et non artiste. Dans son « théâtre pauvre », il n'y a plus de scène ni de salle distinctes, ou de décors construits, mais une aire de jeu utilisée pour chaque spectacle de la façon qui lui est nécessaire. Akropolis intègre les spectateurs à l'intérieur de la structure où évoluent les acteurs. Pour Le Prince constant, l'aire de jeu est une arène que surplombent les spectateurs. Dans Apocalypsis cum figuris les bancs qui leur sont réservés encerclent en partie les acteurs. Graduellement – car il ne s'agit pas ici de l'application de principes définis a priori, mais d'impulsions nées de la pratique – sont éliminés les effets de lumière, les postiches, les masques, le maquillage. Costumes, éléments de décor, accessoires ne sont employés que s'ils sont signifiants. Les déportés d'Akropolis sont revêtus de costumes-prothèses déshumanisants, robes-sacs et bérets enfoncés jusqu'aux oreilles ; le pagne blanc du Prince constant est un signe christique qui contraste avec les lourdes houppelandes et les bottes des juges-soldats qui le supplicient ; dans Apocalypsis cum figuris – en élaboration constante à partir de 1968 –, les costumes de la première version, jugés trop esthétiques, sont remplacés par ceux de la vie courante, anonymes, neutres. C'est ainsi qu'un montage de textes traitant de thèmes évangéliques acquiert une valeur intemporelle. Le décor, par exception essentiel dans Akropolis, c'est la tâche même des déportés que d'édifier pièce à pièce – au moyen de brouettes, pelles, tuyaux – l'univers concentrationnaire où se trouvent enfermés avec eux les spectateurs. Pour Le Prince constant il suffit des quatre cloisons de bois d'une fosse-arène. Dans Apocalypsis cum figuris, sous le feu de l'unique projecteur placé à terre dans un angle, rien d'autre qu'une miche de pain, le bâton de l'aveugle, l'innocent du village, Christ non reconnu. Mais tout cela ne prend son sens que par le jeu de l'acteur, à travers les ressources infinies de son corps, de sa voix, et de son visage nu qui peut tout exprimer.

Admiré par les uns, contesté par les autres, tenu en suspicion par les instances dirigeantes, Grotowski peut cependant – à l'écart, loin de Varsovie – pratiquer un art qui est la négation même de la doctrine officielle, le réalisme socialiste. Mais quant à le laisser présenter un spectacle à l'étranger, il n'en est pas question. En 1966, après deux refus essuyés les années précédentes, le théâtre des Nations parvient à le faire venir à Paris, où sa réputation l'a précédé. Le succès tient du coup de foudre. Ce qui s'explique à la fois par la force et le caractère accompli du spectacle présenté, Le Prince constant, et de « l'acteur saint » par excellence, Ryszard Cieslak. Dès lors, Grotowski est autorisé à entreprendre dans le monde entier des tournées avec sa troupe. En 1968, la troisième version d'Akropolis (créée antérieurement), autre chef-d'œuvre, sera[...]

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Écrit par

  • : ancienne élève de l'École normale supérieure de Fontenay-aux-Roses, critique dramatique de Regards et des revues Europe, Théâtre/Public, auteur d'essais sur le théâtre

Classification

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