GROTOWSKI JERZY (1933-1999)
L'art comme véhicule
En dehors des tournées, le travail se poursuit avec intensité à Wroclaw où la troupe s'engage dans une autre forme de recherche, le parathéâtre qui suppose une « participation active des gens de l'extérieur ». Cela se déroule dans une ferme isolée en forêt. Ne sont admis que des « actuants ». Pas de « regardants », pas de critiques surtout. Différents programmes sont mis en œuvre. Le plus ambitieux, prévu pour se développer sur plusieurs années, fut le Théâtre des Sources : « Nous sommes arrivés à partir de 1979 à des processus forts et vifs, même si, pour ainsi dire, nous n'avons pas dépassé les étapes de l'essai : il nous a manqué le temps nécessaire pour continuer car le programme fut coupé (je devais m'exiler). »
Nous avons pu prendre pour une fin ce qui était pour lui une traversée, un passage vers ce que Peter Brook a nommé « l'art comme véhicule », soit l'exercice du théâtre en tant que voie d'accès à un niveau élevé de compréhension et d'expression de soi-même et du monde, sans que la représentation soit un objectif absolu. Pour cela, il a fallu effectuer le passage de « l'horizontalité » – qui s'en tient à l'expression de ce qui est naturel (ou supposé l'être) et s'exprime en art par le naturalisme – à la « verticalité », soit le « passage à un niveau énergétique plus subtil ou même vers la haute connexion ». Grotowski, qui use volontiers de la métaphore pour dire sa pensée, choisit ici celle de l'échelle de Jacob, où les anges montaient et descendaient. Mais il précise : « Pour que cette échelle fonctionne, chaque échelon doit être bien fait... Tout impeccable du point de vue du métier. »
Quand, en 1981, Grotowski décide de s'exiler, Ludwik Flaszen, avec son accord, prend la direction du Théâtre Laboratoire pour tenter d'en assurer la survie. Cela s'avère impossible dans les circonstances nouvelles. La troupe décide de s'autodissoudre à dater du 31 août 1984 : « Désormais il faut que chacun relève à sa manière le défi que lui jettent sa biographie et les signes du temps. » Les acteurs se consacreront à des stages pratiques et théoriques. Ryszard Cieslak se révélera de nouveau un grand acteur dans le Mahābhārata mis en scène par Peter Brook en 1985.
De 1982 à 1985 Grotowski enseigne à Irvine, université de Californie. Thomas Richards (né à New York en 1962) y est son étudiant. Il l'emmène en tant qu'assistant en Italie lorsque, en 1986, à l'invitation de Roberto Bacci, directeur du Centro per la Sperimentazione e la Ricerca Teatrale de Pontedera, il vient y créer son Workcenter of Jerzy Grotowski. Pendant douze ans, se poursuivent là les « recherches sur le jeu de l'acteur » dans le cadre de « l'art comme véhicule ». Elles se déroulent d'abord dans un complet isolement, à l'écart de la ville, avec quelques participants sévèrement sélectionnés, répartis en deux groupes (par la suite la pénurie des moyens n'en laissera subsister qu'un, réduit à cinq « actuants »). Ils s'entraînent huit heures par jour, six jours par semaine. Outre l'entraînement permanent, les exercices plastiques et physiques, le travail essentiel s'exerce sur les chants rituels des traditions les plus anciennes, spécialement d'Afrique noire et des Caraïbes, dont Grotowski apprécie les qualités vibratoires. Les impulsions du corps sont contrôlées ; la sonorité profondément enracinée dans le corps conduit vers « quelque chose de subtil, délicat, translucide ».
Au bout de quelques années, on a admis quelques témoins, puis invité de jeunes groupes de théâtre, sélectionnés de façon informelle et discrète, en vue d'une confrontation de travail. Le Workcenter présentait le sien puis eux le leur, cela sans[...]
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Écrit par
- Raymonde TEMKINE
: ancienne élève de l'École normale supérieure de Fontenay-aux-Roses, critique dramatique de
Regards et des revuesEurope ,Théâtre/Public , auteur d'essais sur le théâtre
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