JEU Ethnologie du jeu
Dans quelle mesure existe-t-il une ethnologie et une sociologie du jeu ? Quelles sont leurs bases et leurs limites ? Biologistes et psychologues présentent de multiples arguments pour justifier l'hypothèse d'un instinct et d'un besoin de jeu qui meuvent le corps humain avec la même force que les instincts et besoins alimentaires, sexuels et créateurs. Les comportements ludiques de l'homme prennent racine dans son être somatique. Le jeu possède aussi ses aspects moraux et abstraits qui font partie intégrante de l'éthique et de la philosophie. Ethnologues et sociologues abordent cependant le jeu sous un angle tout à fait différent. Les ressorts animaliers, donc corporels et biopsychologiques du jeu, échappent à leurs sphères d'études, et ses traits moraux et philosophiques ne les intéressent que dans la mesure où ils peuvent caractériser la face culturelle d'un ou de plusieurs groupes humains. L'histoire du jeu constitue également un domaine différent de celui des ethnologues et sociologues, bien que les premiers considèrent la mise en valeur d'une vue diachronique comme un principe fondamental de leur méthodologie. En fait, la définition d'une ethnologie et d'une sociologie du jeu correspond à celle de l'ethnologie et de la sociologie mêmes.
L'ethnologue observe et analyse le jeu en tant que création humaine, donc comme un phénomène culturel et non naturel, dans ses particularités ethniques et en rapport avec d'autres éléments des cultures données dont il fait partie. Le social étant un domaine distinct mais intégrant du culturel, l'ethnologue lui prête une attention égale à celle qu'il porte au matériel et au spirituel. Le sociologue, en revanche, centre ses études sur l'aspect social du jeu, qui, sous son objectif, prend une dimension plus étendue que sous celui de l'ethnologue. En effet, le sociologue examine aussi les côtés non traditionnels du jeu, tels qu'ils se développent dans les sociétés industrielles et qu'ils deviennent dépendants d'actions commerciales individuelles et réfléchies. Il met en relief les rapports démographiques, voire politiques, du jeu plus que ne le fait l'ethnologue, et englobe ainsi dans sa recherche sur le jeu les faits « organisés » des sociétés, tandis que l'ethnologue limite la sienne à leurs éléments « organiques ».
Le couple organique-organisé renvoie au couple classique Gemeinschaft-Gesellschaft, et indique aussi, grosso modo, les lignes d'orientation respectives des ethnologues et sociologues dans le domaine du jeu ; ainsi la ronde, cérémoniale ou spontanée, sacrée ou profane, dansée ou marchée, chantée ou récitée dans la plupart des sociétés connues, représente un exemple typique de l'« organique » du monde du jeu. Elle est enracinée profondément dans le comportement religieux, matériel et social des cultures traditionnelles, peut-être aussi ancienne que l'humanité, et demeure un sujet très souvent traité par l'ethnologue. Pour donner un exemple de l'« organisé » du domaine du jeu, il suffit de citer les millions de machines à sous qui ont envahi les bars, cafés et salles de jeux du monde entier, à la suite d'actions commerciales soigneusement méditées et prodigieusement concertées, après la Seconde Guerre mondiale. Elles sont devenues le symbole d'une civilisation cosmopolite de la jeunesse urbaine, au même titre que le chewing-gum, le blue-jean et le transistor, et occupent une telle place dans toute la vie sociale et dans la formation psycho-mentale exercée par les mass media qu'elles devraient être l'un des centres de préoccupations sociologiques contemporaines sur le jeu, tout en restant à l'écart de l'intérêt ethnologique.
Toutefois, maints points communs apparaissent dans les études du jeu sur lesquels l'ethnologie[...]
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Écrit par
- Geza de ROHAN-CSERMAK : professeur à l'université Laval, Québec
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