JEU Ethnologie du jeu
Le jeu dans les cultures traditionnelles
Aspects sociaux
C'est la stratification sociale qui détermine avant tout la position d'un jeu dans un groupe. Les classes d'âge, les formes de vie, la division ethnique et les couches hiérarchiques marquent, chacune à sa façon, le contenu, la fonction d'un jeu et sa place dans la totalité d'une culture. Le groupe de jeu lui-même pouvant être considéré, dans une certaine mesure, comme un groupe durable d'actions et d'interactions culturelles, le jeu possède la capacité de forger des unités sociales. Les groupes de jeu coïncident parfois avec des groupes sociaux déjà constitués. Mais le jeu peut avoir la faculté de faire intégralement représenter, par un groupe de joueurs, une unité sociale même très étendue, telle qu'un peuple. C'est le cas dans les rencontres sportives internationales où le succès peut se comparer à une victoire militaire avec les mêmes conséquences psychiques, ethnocentriques, voire raciales et politiques, dont seules les modifications territoriales sont absentes.
Parmi les Indiens d'Amérique du Sud, la « course de bûches », jeu extrêmement populaire et répandu, a le pouvoir de déterminer la division interne des villages et des ethnies. Chez les Canella, les Gé, les Kamaka et les Tarairyu, par exemple, les adultes des villages se séparent, généralement en quatre classes d'âge orientales et occidentales, etuk et ka, et organisent des courses où chacun court avec, sur l'épaule, une section de palmier d'environ un mètre de long et pesant cent kilogrammes, vers un but déterminé. Ces classes d'âge, dans leur division dualiste, continuent à fonctionner hors du jeu, dans tous les domaines techno-économiques, religieux et sociaux de la vie quotidienne. Système social institutionnalisé particulièrement chez les tribus amérindiennes des régions pacifiques, mais connu aussi ailleurs dans les trois Amériques, en Asie et en Afrique, l'organisation dualiste se reflète non seulement dans les mariages exogamiques mais aussi bien, sinon plus, dans les jeux. En Amérique du Nord, chez les Pomo, Washo, Mono occidentaux et Yokuts orientaux, elle ne règle point le mariage, mais agit seulement comme organisatrice des jeux masculins. Chez les Iroquois, les deux moitiés-phratries groupent des sibs (apparentés) et les opposent surtout au cours de leurs jeux, mais, chez les Hidatsas et Mandans, l'organisation dualiste sert aussi à régler la distribution des produits de la chasse.
Le jeu est donc un facteur d'unification et de création de groupes sociaux. Il produit parfois des types de groupes peu communs dans la morphologie sociale des unités ethniques. Ainsi, dans la terre de Baffin, pour la lutte de traction à la corde au cours de la fête de Sedna (être surnaturel), les Esquimaux groupent dans une équipe ceux qui sont nés en hiver, dans l'autre ceux qui sont nés en été. Au Mardi gras, dans le comté anglais de Midlothian, l'équipe de football composée de femmes affronte celle des jeunes filles, tandis que dans le Perthshire, les hommes mariés luttent contre les célibataires.
Le jeu exprime, de diverses façons, la hiérarchie sociale qui étalonne un groupe. Il est pratiqué surtout entre des personnes appartenant à des couches sociales identiques. Mais le contenu du jeu témoigne aussi, même chez les enfants, du comportement qui caractérise les membres de ces couches. L'analyse morphologique du jeu de « riche et pauvre » par Enäjärvi-Haavio démontre, par exemple, combien les enfants apprennent en jouant l'attitude, les gestes, le langage et toutes autres caractéristiques de ceux qui occupent le haut ou le bas de l'échelle de leur société.
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Écrit par
- Geza de ROHAN-CSERMAK : professeur à l'université Laval, Québec
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