JEU, genre dramatique
On désigne par le mot « jeu » les plus anciennes pièces de théâtre de langue française sans qu'on puisse affirmer qu'il s'agit vraiment du même genre littéraire. Quoi de commun entre le Jeu d'Adam et le Jeu de Robin et Marion ? La notion même de théâtre étant un anachronisme si on l'applique aux spectacles dramatiques du Moyen Âge, l'équivalent du mot latin ludus, que semble constituer le terme « jeu », a été abusivement utilisé pour différents genres de « dialogues par personnages », c'est-à-dire interprétés par des acteurs. Mais, si l'on consulte le manuscrit latin des œuvres d'Hilarius (disciple de Pierre Abélard), on voit qu'il est bien l'auteur d'un Ludus super iconia sancti Nicolai, et Li Jus de saint Nicholas, de Jean Bodel, appartient naturellement au même genre. Par contre, la Résurrection de Lazare (Suscitatio Lazari), de ce même Hilarius, n'est intitulée ludus que par une main tardive, son Jeu de Daniel s'appelant seulement Historia de Daniele representanda. Le vrai titre du Jeu d'Adam est Ordo representationis Ade. On peut donc se demander si primitivement la notion de jeu ne s'appliquait pas plus exactement à un genre de divertissement plus proche de la tradition des mimes ou des parodies scolaires que du drame liturgique, qu'il s'agisse du Jeu du garçon et de l'aveugle ou du Jeu de la feuillée, aussi nommé Jus Adam, du nom de son auteur Adam de la Halle. Il est vrai que les sociologues comme Huizinga (Homo ludens) ou Roger Caillois (Le Masque et le vertige) verront du jeu dans toute mimèsis. Mais il est plus intéressant de suivre le développement de la création dramatique au Moyen Âge dans ses différentes directions. Le mystère en est une, à quoi appartient la représentation d'Adam et Ève. Le jeu en est peut-être une autre, dont la règle consiste à adapter à la représentation scénique un genre poétique comme la vie de saint, la chanson de geste, la pastourelle ou le congé.
Le Jeu d'Adam
Le titre désigne un texte du milieu du xiie siècle, qui prévoit la mise en scène non seulement de la faute d'Adam et d'Ève, mais aussi du drame d'Abel et de Caïn et du défilé des prophètes. La représentation est prévue dans tous ses détails : les indications données en latin n'impliquent pas que les scènes soient jouées sur le parvis d'une église ou à l'intérieur. On décrit un espace imaginaire dont les axes sont symboliques, avec d'un côté un paradis, de l'autre un enfer, mais aussi des lieux particuliers comme une église, et des autels où Abel et Caïn vont apporter leur offrande. Le texte a d'abord pour armature un office liturgique avec sa leçon et ses répons ; la dernière partie s'appuie sur un sermon de l'avent. La fonction du spectacle est d'évoquer la corruption humaine et de lui opposer l'espoir de la rédemption, pour préparer sans doute le public à la pénitence du carême. Dialogues et monologues en langue romane sont traités comme une glose des citations latines. Ils se nourrissent de différentes traditions exégétiques, mais sont surtout l'objet d'une intéressante élaboration littéraire. Ainsi la versification accentue le contraste entre les passages dialogués et dialectiques et les monologues de structure lyrique. L'invention psychologique est aussi intéressante, surtout avec le rôle du Diable qui apporte l'esprit d'intrigue, mais aussi dans l'affrontement des deux frères ennemis. L'analogie de ce drame figuratif avec les conflits familiaux (désobéissance au père, rôle séducteur de la femme, rivalité des enfants) et avec les contradictions sociales (devoirs féodaux, opposition du riche laboureur et du pauvre pasteur) donne une résonance mythique, en tout cas profondément humaine, à cette interprétation de l'Ancien Testament.[...]
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Écrit par
- Daniel POIRION : ancien élève de l'École normale supérieure, professeur à l'université de Paris-Sorbonne
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