JEU, genre dramatique
Le Jeu de saint Nicolas
Le Jeu de saint Nicolas est un miracle dramatique du trouvère arrageois Jean Bodel (1167 env.-1209-1210), créé à Arras, probablement le 5 décembre 1200 (jour précédant la Saint-Nicolas d'hiver) : cette datation n'est pas certaine si le prologue est apocryphe (A. Henry), mais reste plausible. C'est donc la plus ancienne pièce de théâtre entièrement en français qui nous soit parvenue, après le Jeu d'Adam, dont les liens avec la liturgie restent étroits et dont le prologue et les indications scéniques sont encore en latin.
Le Jeu de saint Nicolas prend pour thème un miracle du saint, connu en Occident par la Vita de Jean Diacre traduite en français au xiie siècle par Wace, et auquel sont consacrés deux drames semi-liturgiques latins. Jean Bodel en a sensiblement modifié la trame traditionnelle. Voici l'argument de sa pièce : un roi sarrasin, dont les terres sont envahies par une croisade chrétienne, remporte la victoire sur les chrétiens qui sont massacrés. Un prud'homme, que ses émirs ont capturé alors qu'il était en prière à l'écart des combattants devant une image de saint Nicolas, le convainc de confier son trésor à la seule garde du saint, en se portant garant de son efficacité sur sa vie. Trois voleurs s'emparent du trésor, mais saint Nicolas les oblige à le rendre, sauvant ainsi le prud'homme et obtenant la conversion du roi et de tous ses vassaux.
Lorsque Jean Bodel compose cette pièce, il vient de prendre la croix à la suite de la prédication de Foulques de Neuilly, qui prélude à la quatrième Croisade. Son œuvre, dont certaines scènes, non dénuées de grandeur, reprennent les motifs traditionnels et le style même de la chanson de geste, est animée par l'esprit de la croisade, mais propose en outre une réflexion sur la nature véritable des victoires de la foi. À la fin du xiie siècle, les chrétiens ont perdu Jérusalem et l'Empire latin d'Orient est menacé. Comment se peut-il que Dieu tolère l'échec temporel des croisades entreprises en son nom ? Dans le Jeu de saint Nicolas, les chrétiens, matériellement vaincus, sont doublement vainqueurs. Mourant pour la foi, ils reçoivent la palme du martyre et la gloire du paradis. Et le roi sarrasin vainqueur se convertit cependant au christianisme, touché par d'autres arguments que la force des armes.
Enfin, une partie importante de la pièce est consacrée à des scènes de taverne, au cours desquelles le royaume sarrasin où se déroule l'action est complètement oublié au profit de la peinture réaliste et pittoresque de la vie quotidienne arrageoise. On y voit, entre autres, un aubergiste qui vend son vin bon marché, mais s'arrange pour ne pas pouvoir rendre la monnaie, de mauvais garçons ivrognes, joueurs et querelleurs qui jouent les tournées aux dés, trichent, mettent leurs vêtements en gage pour boire.
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Écrit par
- Daniel POIRION : ancien élève de l'École normale supérieure, professeur à l'université de Paris-Sorbonne
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