JEU (théâtre)
Le corps de l'acteur
Il reste toutefois évident que dans son sens le plus courant, le jeu est assimilable au travail de l'acteur (et que le jeu soit aussi un travail n'est pas le moindre paradoxe) : il devient alors en partie synonyme de l'interprétation. Soumis à la répétition, encadré par des considérations techniques (diction, codes de jeu, appui textuel), il devient ainsi un métier, ce qui l'assimile tout à la fois à une technique et à une fonction sociale. Longtemps, il a été stigmatisé pour des motifs moraux, religieux, philosophiques ou politiques. Il était suspecté tout à la fois de pervertir les acteurs et de contaminer la société. La feintise et la tricherie qui le caractérisaient ne pouvaient avoir de valeur exemplaire : que penser d'une société fascinée par l'imitation et susceptible de confondre le vrai et le faux ? Les pouvoirs de la fiction dramatique dont l'acteur était par définition l'incarnation ont ainsi été contestés et sanctionnés de manière récurrente. À ces mises en garde s'oppose malgré tout la popularité de certains comédiens d'exception, de Roscius (ier siècle av. J.-C.) à Rachel, en passant par la Champmeslé et la Clairon.
Le jeu de l'acteur n'a fait l'objet que de tardives tentatives de théorisation. Si l'on excepte les traités du dramaturge japonais Zeami (1363-1443) consacrés à l'art du nô, qui interrogent directement le travail du comédien (De la transmission de la fleur de l'interprétation) et la fabrication des émotions, traités qui ne seront néanmoins publiés qu'au xxe siècle, il faut attendre pour la France le xviiie siècle pour que la réflexion sur le jeu de l'acteur devienne un sujet en soi digne d'écrits. L'Art du théâtre (1750) de François Antoine Riccoboni puis le Paradoxe sur le comédien de Denis Diderot (1769-1830) inaugurent une réflexion d'ampleur sur le jeu de l'acteur : l'interrogation porte sur le degré d'investissement émotionnel de celui-ci lors de la composition de son personnage. Diderot milite pour l'insensibilité de l'interprète, seule à même de produire des personnages émouvants. Par la suite, au xxe siècle, les écrits de Stanislavski et d'Anton Tchekhov apporteront d'autres réponses, elles aussi destinées avant tout aux interprètes. Régulièrement interrogé à la fin du xixe siècle, aussi bien par les tenants du symbolisme que par ceux du naturalisme, le jeu de l'acteur est partie intégrante de la mise en scène et des diverses esthétiques qui se font jour. De Stanislavski à Meyerhold, d'Antonin Artaud à Bertold Brecht, d'Eugonio Barba et Jerzy Grotowski à l'Actors Studio, il devient l'une des pierres angulaires de la théorie théâtrale. Jeu paroxystique ou distancié, expérience intime et /ou ritualisée et codée, il a revêtu mille formes, à l'opposé de celles des xviie et xviiie siècles – ce qui accentue la difficulté à en saisir l'essence. Le jeu peut ainsi devenir, en certains cas, la modalité d'une épreuve ou d'une expérience dont le plaisir pour l'acteur semble être très éloigné. En parallèle à ces écrits, d'autres approches, plus sensibles, telles que les cours de Louis Jouvet ou les témoignages de Michel Bouquet, participent de cette littérature : divulgation de conseils, de leçons et d'acquis, fruit du travail de l'acteur ou du metteur en scène.
Le jeu de l'acteur est codé ; il correspond à un système sensible, poétique et politique répondant aux exigences du temps. Le système des « emplois » (« père noble », « amoureuse », etc.) qui a longtemps régi les distributions témoigne de son caractère conventionnel : le jeu est inscrit dans un corps, lequel est assigné à un type de psychologie. Si cet arbitraire a en partie disparu, le jeu n'en reste pas[...]
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Écrit par
- Olivier NEVEUX : maître de conférences en arts du spectacle à l'université de Strasbourg-II-Marc-Bloch
Classification
Média