JEUX D'INFLUENCE (J.-X. de Lestrade et A. Lacomblez)

S’il est un bouleversement qu’ont rendu prégnant les années 2010, c’est bien celui des dérèglements climatiques entraînés notamment par la démographie et l’activité humaines. Pourtant, rares sont les œuvres cinématographiques ou télévisuelles à aborder la question de front sans la prise de distance que permettent la satire ou la dystopie. C’est d’autant plus vrai pour la fiction européenne, dont la propension à alerter la population sur les enjeux climatiques tarde à dépasser les frontières du documentaire et du reportage télévisé. La donne semble cependant progressivement en train de changer en ce qui concerne les séries télévisées, comme en témoignent le lancement de la fiction française Jeux d’influence sur Arte, en 2019 (deux saisons de six épisodes chacune), puis la mise en œuvre, en 2022, d’une quatrième saison de la série politique danoise Borgen, de retour après neuf ans d’interruption. Elle s’interroge cette fois sur les conséquences potentiellement catastrophiques de la découverte d’un gisement de pétrole au Groenland.

Quant à la deuxième saison de Jeux d’influence (sous-titrée « Les combattantes »), elle est venue confirmer, près de quatre ans après la diffusion de la première, la capacité de la fiction européenne à jouer le rôle de lanceuse d’alerte sans se complaire dans des diatribes opportunistes ou superficielles. La création atypique de Jean-Xavier de Lestrade et Antoine Lacomblez se présente comme une série d’investigation sobre, abrupte, richement documentée, misant sur la patience et l’assiduité de son public. Elle se situe dans le sillage des séries réalistes développées par David Simon pour la chaîne américaine HBO – dont la plus connue demeure The Wire, diffusée entre 2002 et 2008. Intervenant à la fois à la réalisation, à l’écriture et à la production de Jeux d’influence, Jean-Xavier de Lestrade s’appuie sur sa longue expérience de documentariste pour le cinéma et la télévision. Aux scènes d’action spectaculaires et aux longues tirades, il préfère les moments apparemment creux et les démarches anodines qui, pion après pion, font avancer la partie et esquissent, sans l’assurer, la possibilité d’une résolution.

Le combat continue

Les « combattantes », ce sont Claire Lansel (Alix Poisson) et Chloé Forrest (Marilou Aussilloux), respectivement journaliste d’investigation et activiste qui partagent les mêmes luttes. Aux coups d’éclat retentissants de sa cadette qui n’hésite pas à se mettre en scène, à mener des actions « coup de poing » et à propager des informations confidentielles sur Internet, Claire préfère les enquêtes de terrain et la constitution de dossiers à charge au contenu aussi accablant qu’irréfutable. Après avoir mis au jour un scandale sanitaire lié à la propagation de pesticides toxiques, la journaliste se voit de nouveau confrontée aux pressions de membres du gouvernement et de cabinets de lobbying agrochimique. Lorsque se dessine un « cluster » d’enfants atteints de troubles neurologiques en raison de la contamination de lait maternisé, due à l’écoulement, par un fabricant de pesticides, de fongicides interdits, Claire s’engage dans l’enquête journalistique.

Entre camouflage de bidons frelatés, pollution de nappes phréatiques et campagnes de désinformation, c’est une machination purement vénale qu’elle va révéler, soutenue dans sa démarche par son directeur de rédaction et amant, Serge Walder (Pascal Elbé), en dépit des tentatives d’intimidation répétées qu’il doit subir. Pendant ce temps, Chloé, militante écologiste sur la voie de la radicalisation, mène des actions spectaculaires afin de venger la mort de son père, lobbyiste qui s’est prétendument suicidé au cours de la saison 1. Une cause commune, des modes opératoires différents... En confrontant journalisme à l’ancienne – enquêtes longues, coûteuses, sans garantie de[...]