JEUX DE PIONS
Les jeux de pions relèvent de la famille des jeux intellectuels, c'est-à-dire qu'ils font appel à la réflexion, si limitée soit-elle, et non à la motricité du corps. Un jeu de pions exige au moins deux joueurs, un « tablier » qui se réduit à un diagramme de jeu (ou « pavage »), des pions et, pour certains de ces jeux, un générateur de hasard (dés, par exemple). Chaque jeu de pions se caractérise par un système de règles propres qui en fixe le déroulement.
Une immense variété de jeux répond à cette première définition. Aux jeux de pions traditionnels, tels que dames, échecs, backgammon, jeu de l'oie, awélé, petits chevaux (ludo), s'ajoutent désormais de très nombreux jeux « commerciaux », inventés depuis moins d'un siècle et dont les innovations contrastent fortement avec les millénaires d'immobilisme qui ont précédé.
« Jeux de pions » n'est pas, en français, une expression ayant reçu un large assentiment. En fait, notre langue a quelques difficultés à rendre ce que les Britanniques appellent board games et les Allemands Brettspiele. « Jeux de tablier », au sens classique mais vieilli de « plateau de jeu de pions » et, à l'origine, « piste de trictrac », serait une traduction plus exacte. Encore faut-il observer que l'expression anglaise board games, si répandue soit-elle aujourd'hui, est assez récente, et qu'on en doit l'emploi systématique à Harold R. J. Murray, et tout particulièrement à son livre A History of Board Games other than Chess (Oxford, 1952). Stewart Culin (1858-1929), le plus grand spécialiste des jeux avant Murray, n'employait cette expression que très occasionnellement, usant d'autres vocables qui montrent d'ailleurs qu'il n'avait pas une notion très claire de cette catégorie de jeux.
Murray avait conscience d'innover quelque peu en choisissant de nommer board games la famille des jeux de pions qu'il se proposait de décrire et de classer. En cela, il ne faisait que décalquer l'allemand, qui connaissait depuis longtemps le terme Brettspiel. Mais board game a pris au fil des temps et des usages, depuis les années 1950, des significations qui dépassent son sens initial : en français, par exemple, où l'expression anglaise est parfois utilisée, elle sert à désigner assez souvent, dans la langue des spécialistes et des collectionneurs, les jeux commerciaux « en boîte » à partir du moment où ils comportent un plateau historié.
En outre, on fera remarquer que, prise au sens littéral de l'anglais, l'expression peut parfaitement s'appliquer à des jeux qui ne correspondent pas à l'acception de Murray. Il existe en effet plusieurs jeux de hasard, notamment des loteries, où un plateau quadrillé offre bien des ressemblances avec certains jeux de pions, au point qu'il n'est pas rare de s'y méprendre. Hoca et biribi sont deux loteries bien connues en Europe continentale aux xviie et xviiie siècles, pour lesquelles on utilise une grille qu'on pourrait assimiler à un tablier de jeu de pions. Au Moyen Âge, l'échiquier sert parfois à un jeu de dés : dringuet (ou trinquet) ou « point de l'échiquier » dans les sources françaises, quaeckbord aux Pays-Bas, Brentenspiel dans les textes allemands, autant de termes qui désignent tous un tel jeu. Parmi les jeux modernes, le Scrabble présente tous les aspects d'un game board, mais il n'utilise pas de pions.
D'autres expressions se rencontrent parfois en français. Si jeu « de plateau » est acceptable à condition d'en préciser le sens, « jeu de société » est sûrement à proscrire car dépourvu de signification réelle : comme le rappelle ironiquement Michel Boutin, les jeux de société englobaient au xixe siècle « toutes sortes de jeux, sauf les jeux de pions ». Jeu « de stratégie » n'est[...]
La suite de cet article est accessible aux abonnés
- Des contenus variés, complets et fiables
- Accessible sur tous les écrans
- Pas de publicité
Déjà abonné ? Se connecter
Écrit par
- Thierry DEPAULIS : licencié ès lettres, ingénieur du Conservatoire national des arts et métiers, historien du jeu
Classification
Médias
Autres références
-
ABALONE
- Écrit par Thierry DEPAULIS
- 464 mots
- 1 média
Abalone est un jeu de pions original inventé en 1987 et commercialisé l'année suivante par deux Français, Michel Lalet et Laurent Lévi, au terme d'un parcours exemplaire mais semé d'embûches. « Abalone » et non « l'abalone », car il s'agit d'une marque déposée dont le nom est à la fois celui d'un coquillage...
-
ANGE PROBLÈME DE L'
- Écrit par Jean-Paul DELAHAYE
- 533 mots
Certains problèmes de jeux possèdent des énoncés si simples que ce sont de véritables problèmes de mathématiques pures. C'est le cas du « problème de l'ange » qui appartient à une catégorie d'énigmes inventée par David Silverman et Richard Epstein à la fin des années 1940. Ce problème a été résolu en...
-
BACKGAMMON
- Écrit par Thierry DEPAULIS
- 856 mots
- 3 médias
Le backgammon est un jeu d'origine anglaise qui oppose deux joueurs de part et d'autre d'un tablier comportant vingt-quatre flèches ou cases. Chaque joueur, muni de quinze pions blancs ou noirs selon son camp, s'efforce de conduire ceux-ci de leur point de départ à l'opposé du tablier en respectant...
-
DAMES JEU DE
- Écrit par Thierry DEPAULIS
- 1 843 mots
- 2 médias
Bien injustement considéré comme une version simplifiée des échecs, le jeu de dames représente en fait la forme classique et pure d'un jeu d'affrontement sur tablier orthonormé, où deux joueurs s'opposent en cherchant à capturer les pions de l'autre jusqu'à rendre impossible tout mouvement. Cette simplicité...
- Afficher les 11 références