JEUX DE PIONS
Essais de classification
Ces éléments d'analyse formelle joints à un inventaire aussi complet que possible des jeux de pions anciens et existants ont stimulé la veine classificatoire de certains spécialistes. La classification sans doute la plus répandue, particulièrement dans le monde anglophone, est celle qui a été proposée par Harold Murray en 1952 et ensuite réaménagée par Robert Charles Bell en 1960 et 1969. Murray divisait les jeux de pions, dont il offrait l'inventaire le plus complet à ce jour, en cinq grandes classes : jeux « d'alignement et de configuration » (mérelles, halma...), jeux « de guerre » (wargames : échecs, dames, go...), jeux « de chasse » (hunt games : renard et poules), jeux de parcours (race games : jeu de l'oie, backgammon...), mancalas. Malgré les tentatives de R. C. Bell, qui, par souci de cohérence, regroupait en une seule classe de jeux « de guerre » les wargames et les hunt games de son devancier, la classification de Murray est entachée de nombreux défauts. Elle n'est pas d'une rigueur parfaite, sautant allègrement de critères purement techniques à des critères chronologiques – les « jeux du monde antique » forment ainsi une classe à part – ou à des critères ethnologiques. Enfin, elle ignore complètement l'apport des jeux modernes et leurs innovations.
Roger Caillois (Les Jeux et les hommes, Paris, 1967) ne s'est pas penché spécifiquement sur les jeux de pions mais les grandes catégories de jeu définies – « agôn », « alea », « ilynx », « mimicry » – graduées selon une échelle allant de la simple paideia au ludus le plus réglé offraient une grille d'analyse intéressante. Cependant, les difficultés de mise en œuvre de la classification de Caillois sont telles qu'on ne peut guère l'appliquer aux jeux de pions ni, à vrai dire, à la plupart des jeux mêlant réflexion et hasard : où situer les jeux de cartes ?
Le Britannique Eric Solomon est le premier à avoir essayé, dans les années 1970, de classer l'ensemble des jeux de pions en tenant compte des jeux « commerciaux » modernes. Il distinguait quatre sortes de jeux : les « purement abstraits », les « abstraits thématiques », les « thématiques abstraits », les « purement thématiques ». Les premiers reflétaient une situation imaginaire, sans référence à la réalité (mancalas, mérelles, Othello/Reversi ou Mastermind), les derniers regroupaient les jeux de simulation (wargames par exemple). Entre les deux, le backgammon illustrait la famille des jeux « abstraits thématiques », les échecs et le Monopoly celle des jeux « thématiques abstraits ».
Jean-Marie Lhôte, auteur d'une monumentale Histoire des jeux de société (Paris, 1994), a lui aussi tenté de classer les jeux de pions. Il propose de les « lire » dans une séduisante matrice à double entrée à partir de quatre critères principaux, symétriquement répétés : position, gain, combat, parcours. Chaque famille de jeux s'inscrit donc dans l'une des seize cases du tableau et se définit par la proportion de chaque critère. Ainsi, le go représente la « position pure » (position/position) tandis que le jeu de l'oie, à l'autre extrémité du tableau, illustre les « parcours purs » (parcours/ parcours). Les dames (gain/combat) et les échecs (combat/combat) occupent le centre de la matrice. L'auteur lui-même confesse quelques faiblesses : la matrice rend mal compte de certaines situations, et le lecteur est surpris d'y rencontrer le loto (position/gain) et le craps (gain/gain) qui ne sont en rien des jeux de pions.
Au terme d'une analyse formelle très poussée, Michel Boutin paraît avoir trouvé un modèle de classement prometteur. Sa réflexion lui a inspiré cinq classes, dont quatre sont issues d'une matrice à double entrée croisant le rapport au hasard[...]
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Écrit par
- Thierry DEPAULIS : licencié ès lettres, ingénieur du Conservatoire national des arts et métiers, historien du jeu
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